dimanche, novembre 05, 2006

Samedi soir

On est samedi soir, il est vingt-trois heures, et je ne suis pas bourré. Pas même dans un bar, rien. Rien du tout. Pas de sortie, rien. Loin le temps du lycée. Ou presque. Connais pas grand-chose et impression d’aller un peu vite. Peut-être pas. Pas de sortie, rien. Rien du tout. Alors c’est formidable. For-mi-da-ble. De rien faire. « Qu’est-ce t’as fait ? — ‘Of. Rien. — Ah… et… à part ça ?... » Rien du tout. Formidable. Je veux dire : forcément. Me manque pas, attention. Non, pas du tout. Etre quelque part quand on sait pas où être, c’est pas mal, c’est toujours ça, on y était. Etre nulle part c’est pas mal non plus. Il n’y avait rien. « Putain ça craint. » Vaut mieux être à Paris. A Paris. C’est sûr. Déjà le temps du métro ça occupe la soirée. Ou alors trop fait on en est épuisé. Et il y a telllllment de choses à faire à Paris. C’est sûr. On peut pas dire qu’on était nulle part. Toujours un quelque part. Même à entrer n’importe où. Comme ça dire qu’on a choisit. Comme ça est le héros de notre histoire. Sûr. Désir badaud dans les rues les commerces. Choix à hauteur des sous. Mais les gens des villes sont riches, c’est bien connu.

Ça me manque pas. Alcool à domicile, familiale triangulation rhumesque. Et le citron. Triangle aussi. Le tout sucré, bien sucré. Ça me dérange pas. Si promesse. Forcément. For-mi-da-ble. Etre nulle part, c’est déjà être ailleurs, non ? Etre ici, ça non. Trop déjà, et à chaque fois. Ça ne rate pas. Parole de Sandro (mais l’autre, merde, l’autre, quand ?). Les heures passent et incapable de dire ce que j’ai fait. Même effort de mémoire, impossible. Chronologie absente. Fascination dernier degré. Désert total, rien ne manque. Trouver des évènements. Un évènement, vite vite. Merde, qu’est-ce que je vais bien pouvoir raconter. Une production culturelle, au moins, non ?

C’est qui, « moi » ? Un Ivan-Pierre quelconque. J’imagine. Qu’elle sait. Ah non. C’est vrai. C’est une fille. Pauvre petite. Toute plaintu. C’est tout triste. Elle triste, moi triste. Con. Pour que des avantages, en plus. Ils lui offrent la possibilité unique de vivre une vie intéressante, et elle se plaint. Non mais voyons ! De saisir sa vie. De vouloir. A construire. On fait jouer les enfants avec des bouts de bois standards pour bâtir des châlets suisses, mais plus tard le modèle est fourni. Innovation zéro, vie de merde. Satisfaction institutionnelle. Ou de l’argent. Il le disait bien Paul : « leur vie c’est de la cendre. » Ou quelque chose comme ça. Pour eux-mêmes !! Ah elle est belle la façade. On est tout ébloui et pis un r’gard et pis on n’en veut plus. C’est pas toi, ça, non c’est pas toi. Ils t’ont faite souffrir, et continuent encore : quelle chance ! C’est pas tout le monde qu’a cette chance. C’est sûr. C’est for-mi-da-ble. Il le disait Pierrot, que j’aime pas trop mais quand même, le Pierrot : « pour changer les choses il faut de la violence ». De la violence pour éveiller. De la violence pour transformer. « Faut souffrir pour être belle » : tu parles d’une connerie. Ou plutôt perversion. Comme on dirait : faut souffrir pour devenir BHL, faut souffrir pour construire des Bouygues pareilles toutes maisons, faut souffrir pour s’appeler Onfray ou Bernard Lahire. Souffrir pour aller contre le cours des choses, mais quelles choses ? Si c’est pour passer dans un autre cours c’est pas la peine. La prostituée souffre pour être achetée puis symbolise l’échange même. Perversion, ironie du changement. Tu vaux plus, tu sais, tu vaux plus. J’ai pas les mots faciles, faut pas croire. Et compliments j’en parle pas. Brosser le sens dans le poil très peu, merci. ‘Tite bourgeoise. Wannabe la bourgeoise, ouais. Ressembler à des pogroms d’insignifiance, non mais franchement. Suicide collectif par répétition du même, génocide même pour dire, et dans l’indifférence. Si leur étoile brillait ils seraient pas obligés constamment d’allumer la lumière. Ils ne peuvent rien pour toi : tant mieux ! Des pommades infinies pour quoi pour endormir la plaie ? Calle toi bien, ou autres. Les nourritures terrestres et artefacts géniaux. C’est ignoble de jouir de sa position, pouvoir du bien loti, fait bien de s’en repaître avant de disparaître. Corps et âme, et rien derrière. Ne t’oublie pas, ne t’oublie pas. Ne t’oublie pas. Tu n’as que toi. Cherche tes alliés, cherche tes nourritures bien-aimées, habite, le monde, habite. Ils veulent tous ta souffrance, ils se repaissent de souffrance. Le souffrant est une place de choix parmi les gens petits. Vis toi. Attrape-toi. Comme le baron. Et le cheval avec. Comme les chiens, définir territoire. Quotidien merveilleux, c’est déjà un début. Triangulée, quadrangulée symboles, signes et les interprétations, la magicienne le processus retourne, renverse l’inversion, et capture à son tour. Et c’est quand tout va bien que ça va le plus mal. On dirait. Bourgeoise, insignifiante mondaine, je te déteste encore. Ne cherche pas dans cette voie, elle te va vraiment pas.

Tout le monde est couché. Pas un bruit. Une énième cigarette. Désolé, mais quand il n’y a rien c’est fatal. Toujours pas de réponse, et pas de connexion non plus. Pas là peut-être. Personne n’est là le samedi soir. A partir de demain je m’y mets, à mon histoire. Ou lundi. Mais j’ai peur. Je commence les questions et ça défile, hors balises ça défile, ou délire des balises. Je me laisse aller, en tous cas. Mais c’est pas comme ça que ça marche, c’est pas comme ça qu’ils font, les autres. Les autres ils ont compris comment untel marche et ils refont pareil, promenons-nous dans les pas. Van Gogh et Gauguin, ils ont commencé par les couleurs ternes, parce qu’ils se sentaient pas capables. Beaucoup de travail et de temps avant de passer à la couleur. Beaucoup. Et alors quelle splendeur. La philosophie c’est pareil. Qu’il dit, le Gillou. J’y peux rien si on nous demande de nous y coller de suite. On a pas le droit le terne, c’est direct en couleurs. Pâles couleurs et harmonie à chier, peut-être, mais en couleurs quand même. « Et si j’en vois un en train de commenter, attention à lui ! C’est pan-pan cul-cul et au coin ! Compris ? Alors au boulot ! — Oui mais !... — Y’A PAS DE MAIS !!! ». Et là c’est le chef, dans Akira, tout énervé, avec un merveilleux exemple de cette bouche rectangle manga que j’avais décalquée. Parce que la perspective. La perspective de l’ordre très peu. Tiens lapsus, autre pour ordre. A creuser. Tous ces gens avec des araignées dans le plafond. Si les sociologues étaient autre chose que des essayistes ça se saurait. Je prends ce dont j’ai besoin. Parce que ça colle. Alors mes questions. Mes questions. Mes, questions. Demain peut-être.

Il est une heure du matin et je n’ai pas fait plus que le reste de la journée. Mais là il y a une trace ailleurs que fichier historique, direz. Ce n’est pas la trace qui compte.

C’est les traces de la trace.

(Oui, d’accord, je vais me coucher.)


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