Apprendre à ne rien faire
Tu travailles trop. Tu travailles beaucoup trop. Quand tu travailles pas, si par hasard tu ne dors pas, tu joues aux Sims. Encore du travail.
Moi c’est pareil. Faut pas le dire, c’est pas valorisé, hein, c’est pas rémunéré, on n’a pas le droit de dire que c’est un vrai tripalium. Quand je ne dors pas, je suis sur l’ordinateur. Entre textes pour le mémoire, textes pour moi, textes pour le blog et jeux vidéo, ça prend la plupart de mon temps. Aujourd’hui un moment pour manger, c’est encore du travail. Un petit moment avec toi, un petit moment à lire (pour le mémoire), c’est encore là où j’ai fait le moins.
Apprendre à ne rien faire, comme tu disais. C’est pas gagné. La plupart des gens travaillent toute leur vie, tout le temps. Quand ils ne travaillent pas, quand leur corps n’est pas réquisitionné à quelque tâche, on appelle généralement ça la jouissance. Mais cela peut aussi prendre la forme d’un concert, d’un match de football, d’une bière ou d’une lecture. Les gens croient alors dépenser leur corps selon leur bon vouloir. Et c’est ça qui importe, parce que franchement, c’est pas selon l’activité qu’on peut le percevoir. C’est pourquoi le masochisme au travail est difficilement perceptible, difficile à remettre en cause.
Apprendre à ne rien faire. Tu disais. L’emploi du temps de la plupart des gens n’a pas de trous. Je passe souvent beaucoup de temps sur internet. Je ne sais pas ce que j’ai fait, impossible de reconstituer la chronologie, de savoir où est passé le temps. Mais je sais que je n’ai pas rien fait pendant longtemps. Pour qu’il n’y ait pas de trous dans un emploi du temps, pas la peine de découper le temps, ça c’est la vieille méthode. Il suffit d’isoler des activités, de préférence de ne pas les mélanger, et de passer de l’une à l’autre. Celui qui ne veut pas avoir de trous dans son emploi sera perturbé parfois par le temps et par les lieux de passage d’une activité à une autre. Ce sont des lieux étranges. Un arrêt de tram, par exemple. Et même le tram, s’ils ne le perçoivent pas comme une activité. Une activité, c’est un dispositif technique auquel on se prend au jeu. Il faut bien comprendre la technique pour bien faire, pour qu’il n’y ait pas de trous. Celui qui a bien l’habitude de remplir son emploi du temps voit le monde comme un ensemble de dispositifs. Il n’y a pas de trous dans le monde, et c’est pour ça qu’il n’y en a pas dans son emploi du temps.
Apprendre à ne rien faire, tu disais. On considère tellement les autres comme des choses qu’on finit par croire qu’ils sont aussi des dispositifs techniques. Pas besoin d’aller dans une boîte à partouzes. Ne rien faire pour nous, c’est l’ennui et ces temps d’attente entre deux activités, arrêt de tram ou salle d’attente du médecin, des lieux comme ça. Ou les activités volontaires, mais toutes les activités finissent par l’être, on ne voit plus trop la différence.
On peut ne rien faire partout, ce n’est pas là le problème. Je ne fais rien quand je me laisse aller à la rêverie. Quand Max s’installe dans un fauteuil et fume un cigare, c’était son truc. C’est la qualité d’une présence. Enfin, présence… On comprend bien pourquoi les autres sont toujours réduits à des choses. C’est parce qu’on n’arrête pas de faire, avec eux. Tout ce que l’on se dit est toujours dit trop fort, et puis il n’y en a qu’un qui le dit, l’autre écoute, opposition et capture. Les autres sont des choses parce que l’on ne se laisse pas aller à la rêverie, avec eux. Parce qu’il faut être là. On besoin on nous le fera comprendre, s’ils ont des doutes. S’ils n’en ont pas, là c’est l’attaque de suite, la pique, la moquerie, qui vise à nous réveiller, et si l’on reste dans notre rêverie c’est clairement leur dire qu’on se moque d’eux, qu’on est indifférent, qu’on les méprise. Et puis à la fin chacun part de son côté. A ses petites affaires.
Alors on rêve de longs moments à ne rien faire. A rien faire qu’à rêvasser. A deux, à pleins. On rêve de ses veillées d’antan, on rêve de ces salons où il y a bien plus de monde que de gens pouvant parler. On rêve que l’on est l’une de ces personnes qui ne parlent pas. Attention, nous disons-nous, si je ne parle pas c’est que je ne suis pas le centre de l’attention, c’est que je ne suis pas, moi-même, et pas pour les autres ou pour la situation, au centre de ce qui se passe, au centre de l’activité. Si je ne parle pas, c’est que je ne suis pas dans l’activité. D’ailleurs, quand je ne parle pas, j’écoute activement ce qui se dit, et je cherche activement ce que je pourrais dire. Je suis là. Tout hors de moi. Bien moi. Celui qui se laisse aller à la rêverie, Michaux dit le paresseux, il dit aussi qu’il nage. Il est tout en lui-même, un peu cotonneux vis-à-vis de l’extérieur, un peu absent. Mais absent à lui-même aussi.
Je sais pourquoi mon emploi du temps n’a pas de trous. C’est pas ma faute, c’est juste qu’il n’y a dehors que des dispositifs techniques. Même si c’est moi qui le vois ainsi. Quand je suis fatigué je dors, et puis des fois je ne suis pas content parce que je n’arrive pas à dormir. Je suis trop présent à moi-même. Ça m’arrive d’essayer de ne rien faire. Mais je n’y arrive pas. L’espace me réquisitionne, je ne sais pas comment dire cela. Ce sont les objets, et même les murs, qui m’ordonnent de faire quelque chose. Ils me rejettent, on dirait. Et dès que je trouve quelque chose, cette chose elle me met au travail. Même mon lit, au fond. Un lit, c’est fait pour dormir. C’est fait pour. C’est peut-être que tout ça c’est fait et que j’obéis à ce faire. Moi je veux bien ne rien faire, mais comme ça, là, tout de suite, je ne peux pas. J’ai pas confiance, ou je ne sais pas. Il me faut quelque chose de positif. Ne rien faire, ça va pas. Pas du tout. Je ne comprends rien. Quand je fais rien, je fais encore. Ça va pas du tout. Il me faudrait peut-être des choses pas faites du tout, ou faites pour rien. Ou ne pas obéir au faire d’une chose, mais je crois que ça c’est surtout rêvasser à la chose, même selon son faire, comme imaginer les tribulations d’une valise en voyage plutôt que celles d’un chapeau en voyage, sans obéir au faire pour lequel elle est faite, sans activité. Ou peut-être que pisser dans une valise c’est ne rien faire du tout, allez savoir.
C’est bizarre. Je fais toute la journée, je suis moi constamment, moi moi moi, toujours là. Et puis c’est quand je me mets à rêvasser, vaguement absent à moi-même, nageant dans des eaux pas très claires, que j’ai vraiment le sentiment d’être moi. Je suis bien. Je n’ai pas le sentiment d’être moi du tout, c’est après que je me dis mince alors, c’était quand même bien. Il en faut de la confiance pour se laisser aller. Je crois qui j’y arrive quand je ne me sens pas appelé. Quand il n’y a pas quelqu’un qui pose ses yeux sur moi et semble me demander quelque chose, quand même les murs ne me mettent pas au travail. Que je suis oublié, mais avec les choses qui m’entourent quand même. Comme si elles me tenaient chaud, d’un coup. C’est pas courant. Des choses qui vivent leur vie, ou qui sont tout à fait inertes, mais là quand même. Enfin, là… Elles se reposent.
C’est bête, hein. Les choses, elles ne sont pas vivantes. C’est bête, de croire l’inverse, non ? Pourtant, j’ai constamment cette impression. Je le sais : je le sens. Mais peut-être qu’elles ne font que réagir, les choses, qu’elles font comme moi. Moi, si quelqu’un me regarde, je me redresse, même en moi-même seulement, et je suis là. Elles font peut-être pareil. Peut-être qu’on ne se comprend pas, avec les choses. Elles ne sont peut-être pas si méchantes que ça, finalement. Elles n’y sont peut-être pour rien, elles non plus. Quand je fais une activité ou quand je rêvasse, c’est pareil, je me sens porté, conforté, par un tout. Mon esprit le voit, le sent tout entier, mais ne voit pas au-delà. Que les choses m’appellent ou pas, c’est la différence. Mais ce n’est pas dit. C’est peut-être moi qui commence. Mais quand c’est moi qui commence, c’est que je ne vois pas bien le tout dans lequel je suis, c’est que je n’ai pas confiance. Il faut parfois du temps pour l’apprivoiser. Et lui aussi.
Moi c’est pareil. Faut pas le dire, c’est pas valorisé, hein, c’est pas rémunéré, on n’a pas le droit de dire que c’est un vrai tripalium. Quand je ne dors pas, je suis sur l’ordinateur. Entre textes pour le mémoire, textes pour moi, textes pour le blog et jeux vidéo, ça prend la plupart de mon temps. Aujourd’hui un moment pour manger, c’est encore du travail. Un petit moment avec toi, un petit moment à lire (pour le mémoire), c’est encore là où j’ai fait le moins.
Apprendre à ne rien faire, comme tu disais. C’est pas gagné. La plupart des gens travaillent toute leur vie, tout le temps. Quand ils ne travaillent pas, quand leur corps n’est pas réquisitionné à quelque tâche, on appelle généralement ça la jouissance. Mais cela peut aussi prendre la forme d’un concert, d’un match de football, d’une bière ou d’une lecture. Les gens croient alors dépenser leur corps selon leur bon vouloir. Et c’est ça qui importe, parce que franchement, c’est pas selon l’activité qu’on peut le percevoir. C’est pourquoi le masochisme au travail est difficilement perceptible, difficile à remettre en cause.
Apprendre à ne rien faire. Tu disais. L’emploi du temps de la plupart des gens n’a pas de trous. Je passe souvent beaucoup de temps sur internet. Je ne sais pas ce que j’ai fait, impossible de reconstituer la chronologie, de savoir où est passé le temps. Mais je sais que je n’ai pas rien fait pendant longtemps. Pour qu’il n’y ait pas de trous dans un emploi du temps, pas la peine de découper le temps, ça c’est la vieille méthode. Il suffit d’isoler des activités, de préférence de ne pas les mélanger, et de passer de l’une à l’autre. Celui qui ne veut pas avoir de trous dans son emploi sera perturbé parfois par le temps et par les lieux de passage d’une activité à une autre. Ce sont des lieux étranges. Un arrêt de tram, par exemple. Et même le tram, s’ils ne le perçoivent pas comme une activité. Une activité, c’est un dispositif technique auquel on se prend au jeu. Il faut bien comprendre la technique pour bien faire, pour qu’il n’y ait pas de trous. Celui qui a bien l’habitude de remplir son emploi du temps voit le monde comme un ensemble de dispositifs. Il n’y a pas de trous dans le monde, et c’est pour ça qu’il n’y en a pas dans son emploi du temps.
Apprendre à ne rien faire, tu disais. On considère tellement les autres comme des choses qu’on finit par croire qu’ils sont aussi des dispositifs techniques. Pas besoin d’aller dans une boîte à partouzes. Ne rien faire pour nous, c’est l’ennui et ces temps d’attente entre deux activités, arrêt de tram ou salle d’attente du médecin, des lieux comme ça. Ou les activités volontaires, mais toutes les activités finissent par l’être, on ne voit plus trop la différence.
On peut ne rien faire partout, ce n’est pas là le problème. Je ne fais rien quand je me laisse aller à la rêverie. Quand Max s’installe dans un fauteuil et fume un cigare, c’était son truc. C’est la qualité d’une présence. Enfin, présence… On comprend bien pourquoi les autres sont toujours réduits à des choses. C’est parce qu’on n’arrête pas de faire, avec eux. Tout ce que l’on se dit est toujours dit trop fort, et puis il n’y en a qu’un qui le dit, l’autre écoute, opposition et capture. Les autres sont des choses parce que l’on ne se laisse pas aller à la rêverie, avec eux. Parce qu’il faut être là. On besoin on nous le fera comprendre, s’ils ont des doutes. S’ils n’en ont pas, là c’est l’attaque de suite, la pique, la moquerie, qui vise à nous réveiller, et si l’on reste dans notre rêverie c’est clairement leur dire qu’on se moque d’eux, qu’on est indifférent, qu’on les méprise. Et puis à la fin chacun part de son côté. A ses petites affaires.
Alors on rêve de longs moments à ne rien faire. A rien faire qu’à rêvasser. A deux, à pleins. On rêve de ses veillées d’antan, on rêve de ces salons où il y a bien plus de monde que de gens pouvant parler. On rêve que l’on est l’une de ces personnes qui ne parlent pas. Attention, nous disons-nous, si je ne parle pas c’est que je ne suis pas le centre de l’attention, c’est que je ne suis pas, moi-même, et pas pour les autres ou pour la situation, au centre de ce qui se passe, au centre de l’activité. Si je ne parle pas, c’est que je ne suis pas dans l’activité. D’ailleurs, quand je ne parle pas, j’écoute activement ce qui se dit, et je cherche activement ce que je pourrais dire. Je suis là. Tout hors de moi. Bien moi. Celui qui se laisse aller à la rêverie, Michaux dit le paresseux, il dit aussi qu’il nage. Il est tout en lui-même, un peu cotonneux vis-à-vis de l’extérieur, un peu absent. Mais absent à lui-même aussi.
Je sais pourquoi mon emploi du temps n’a pas de trous. C’est pas ma faute, c’est juste qu’il n’y a dehors que des dispositifs techniques. Même si c’est moi qui le vois ainsi. Quand je suis fatigué je dors, et puis des fois je ne suis pas content parce que je n’arrive pas à dormir. Je suis trop présent à moi-même. Ça m’arrive d’essayer de ne rien faire. Mais je n’y arrive pas. L’espace me réquisitionne, je ne sais pas comment dire cela. Ce sont les objets, et même les murs, qui m’ordonnent de faire quelque chose. Ils me rejettent, on dirait. Et dès que je trouve quelque chose, cette chose elle me met au travail. Même mon lit, au fond. Un lit, c’est fait pour dormir. C’est fait pour. C’est peut-être que tout ça c’est fait et que j’obéis à ce faire. Moi je veux bien ne rien faire, mais comme ça, là, tout de suite, je ne peux pas. J’ai pas confiance, ou je ne sais pas. Il me faut quelque chose de positif. Ne rien faire, ça va pas. Pas du tout. Je ne comprends rien. Quand je fais rien, je fais encore. Ça va pas du tout. Il me faudrait peut-être des choses pas faites du tout, ou faites pour rien. Ou ne pas obéir au faire d’une chose, mais je crois que ça c’est surtout rêvasser à la chose, même selon son faire, comme imaginer les tribulations d’une valise en voyage plutôt que celles d’un chapeau en voyage, sans obéir au faire pour lequel elle est faite, sans activité. Ou peut-être que pisser dans une valise c’est ne rien faire du tout, allez savoir.
C’est bizarre. Je fais toute la journée, je suis moi constamment, moi moi moi, toujours là. Et puis c’est quand je me mets à rêvasser, vaguement absent à moi-même, nageant dans des eaux pas très claires, que j’ai vraiment le sentiment d’être moi. Je suis bien. Je n’ai pas le sentiment d’être moi du tout, c’est après que je me dis mince alors, c’était quand même bien. Il en faut de la confiance pour se laisser aller. Je crois qui j’y arrive quand je ne me sens pas appelé. Quand il n’y a pas quelqu’un qui pose ses yeux sur moi et semble me demander quelque chose, quand même les murs ne me mettent pas au travail. Que je suis oublié, mais avec les choses qui m’entourent quand même. Comme si elles me tenaient chaud, d’un coup. C’est pas courant. Des choses qui vivent leur vie, ou qui sont tout à fait inertes, mais là quand même. Enfin, là… Elles se reposent.
C’est bête, hein. Les choses, elles ne sont pas vivantes. C’est bête, de croire l’inverse, non ? Pourtant, j’ai constamment cette impression. Je le sais : je le sens. Mais peut-être qu’elles ne font que réagir, les choses, qu’elles font comme moi. Moi, si quelqu’un me regarde, je me redresse, même en moi-même seulement, et je suis là. Elles font peut-être pareil. Peut-être qu’on ne se comprend pas, avec les choses. Elles ne sont peut-être pas si méchantes que ça, finalement. Elles n’y sont peut-être pour rien, elles non plus. Quand je fais une activité ou quand je rêvasse, c’est pareil, je me sens porté, conforté, par un tout. Mon esprit le voit, le sent tout entier, mais ne voit pas au-delà. Que les choses m’appellent ou pas, c’est la différence. Mais ce n’est pas dit. C’est peut-être moi qui commence. Mais quand c’est moi qui commence, c’est que je ne vois pas bien le tout dans lequel je suis, c’est que je n’ai pas confiance. Il faut parfois du temps pour l’apprivoiser. Et lui aussi.
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