Vivement que je parte (la nature pour la confiance, la culture pour le délire)
Quitter enfin Grenoble, bientôt, très bientôt. Insupportable Grenoble. Il n’y aurait pas les montagnes que je serais parti depuis longtemps, parce qu’on ne voit pas la ville, à Grenoble, on ne voit que les montagnes. On ne voit pas la ville, avec toute son architecture, avec toute sa culture, qu’ils construisent ce qu’ils veulent, du moment qu’on voie les montagnes. On s’en fout des humains et de tout le reste quand on a la montagne. La nature : n’importe qui devient asocial en moins de deux à son contact, on n’en a plus rien à foutre, des humains, des bâtiments et de la culture. Il n’y a que dans des villes sans nature où l’on n’a que l’architecture pour repère, et puis les humains, et puis la culture.
Mon « chez-moi » n’a jamais cessé d’être la solitude dans la nature, le reste n’est que tourisme. M’y arracher, partir à la ville, la vraie ville, celle qui rend fou (enfin… Phnom-Penh rendre fou, faudrait peut-être pas exagérer, mais déjà Paris, mais déjà Bangkok, mais des passages trop courts), celle de la perte de la nature, cette vie dans la seule culture, avec ma forêt et mes montagnes en moi, rien qu’à moi. On ne peut pas vivre, sans nature, on ne peut pas faire confiance aux humains, ce qu’ils construisent est trop instable, trop éphémère, trop pourrissant, on veut bien y jeter un œil, chercher à comprendre comment c’est construit, que c’est jouissif ! que c’est drôle !, c’est un jeu, mais y vivre, ça relève déjà de la blague : comment, vous savez pas comment c’est fait ailleurs, que c’est différent ? comment, vous croyez que le monde se limite à votre petit patelin, voire à votre petit moi ? Il en deviennent drôles, les humains, à être si limités, si sérieux, si prévisibles, si misérables qu’il faut sans cesse les idéaliser (et quel humain je suis !), même que c’est bien pratique parce qu’on peut ainsi les étudier, c’est bien pratique qu’ils existent dans un univers humainement construit, climatisé comme dirait l’autre, comme ça tout est rationalisable, on peut tout mettre en boîte : vous en voulez de la boîte, et bien en voilà, et plus que vous n’en vouliez ! quoi, vous ne la supportez pas ? mais enfin, qu’est-ce que vous faites pour en sortir ? nada, oui ! vous l’aimez trop, vous y appartenez, alors bougez-vous le fion ou admettez que c’est là que vous vivez ! et toujours des excuses, des frustrations et quelques rêves… Mais l’humain est tellement drôle au moindre contraste que l’on peut faire ; ridicule, le sérieux, ridicule, le désespoir, tout simplement ridicules… il n’y a pas à avoir honte, ce n’est rien, c’est simplement ridicule, autant en rire… Et tous ces gens qui bombardent les boîtes mails de messages pour sauver la nature… mais il faudrait déjà cesser de considérer la culture comme une seconde nature ! comme la nature elle-même ! avec tous ces présupposés de « l’écologie urbaine », entre autres ! haro sur les ethnologues ! la culture c’est le « parc humain », c’est « l’environnement » « climatisé » ! tout ça parce que la culture ça fait créer, produire, vendre, par la culture l’humain laisse sa trace, et puis ça occupe ! trente minutes sur un balcon à sentir le soleil sur ma peau, qu’est-ce que je pourrais seulement en dire ? me sentir bien au creux d’une forêt, regarder une montagne : mais quelles nullités du point de vue de la culture ! parce qu’enfin ce n’est pas vivre cela ! c’est pas avec ça qu’on va répondre à la question « et que faites-vous de beau dans votre vie » ? c’est pas ça qui va nous faire des expériences, nous faire jouer, emplir notre vie, et puis tisser du « lien social » (quelle connerie, ça encore) ! si la ville peut se résumer à une image porno, c’est pas pour rien, toute la culture urbaine ignore totalement la nature ! alors, d’ailleurs, on peut dire vouloir sauver la planète, mais la culture des ados laisse à réfléchir sombrement : quelle importance, elle a, la planète, lorsque l’on ne connaît pas la nature ? seule la ville, les choses, les humains, ont de l’importance ! la nature… c’est juste des images sur le net, c’est juste des images tout court, même il y a des gens qui vont faire des promenades comme ils se brancheraient un tuyau d’oxygène dans le nez… mais quelle importance ? L’humain, la culture, c’est vraiment du comique ! On ferait mieux de se repencher un peu sur les siècles 15 et 16, au début du phénomène… c’était pas encore le sérieux de l’humain qui veut « faire monde », c’est sûr ! Ah ils l’auront leur paradis climatisé ! Enfin paradis c’est beaucoup dire… Dans la science, les réponses entraînent encore plus de questions… c’est humain, quoi… la modernité s’érige sur le mythe de la résolution des problèmes… mais c’est pareil, on n’en vient pas à bout, il n’y a que la beauté du geste, ou plutôt de la trace, les sept merveilles du monde, n’est-ce pas, oui mais on est là pour les contempler, et au passage quelques milliards d’esclaves… mais on ne veut plus être esclaves, même de luxe (ne faites pas socio, pour être esclave, faites plutôt une école de commerce, vous aurez plus de chances de trouver un emploi, si c’est ce qui vous fait tant rêver), et puis on se demande s’il y aura encore quelqu’un pour admirer nos merveilles dont l’on doute nous-mêmes (les gens bien intentionnés, eux, entendent produire des merveilles pour les gens vivants, présents, c’est presque plus misérable encore).
Oui les humains font rire. On ne sait pas trop pourquoi, souvent il n’y a pas de quoi, mais ils font rire tout de même. « C’est pas grâââve », comme dit l’enfant, le sourire aux lèvres. Si encore là tout de suite devant moi il y avait quelqu’un en train de se faire frapper, voire tuer, subissant un assaut trop humain, trop débile, d’une personne damnée (damné signifie la perte de contact avec la nature, quoi que l’on entende par là ; oh qu’elles fascinent, les personnes damnées, que l’on ne peut s’empêcher de croire les plus naturelles qui soient, alors que précisément elles visent à l’extension de la culture : cette force parfois brutale et débile, cette innocence, elle fascine, et quelle ambivalence !...)… mais non, c’est presque qu’ils en manqueraient, c’est dire notre étonnement ! Et ils se plaignent… ils sont vivants et ils se plaignent… vivants se plaignant, on ne peut que supposer qu’ils manquent de ce qui aurait pu les tuer… c’est bien là tout le problème, toute l’ambiguïté de notre monde : on a beaucoup trop de culture, et pourtant on en manque…
M’enfin… je me comprends, c’est déjà le principal. Et puis je vais partir de là, pour un bon mois j’espère. Terminer les bouquins en route, en attendant. Les mémoires de Balthus (ah putain, Balthus !). Un Delaume (non, je vais laisser tomber, je crois). Un Sangsuk (idem). Ras-le-bol de la culture, ou alors dénoncée, au profit d’un rapport « vrai » au « monde » (ce que Delaume a plus ou moins fait dans son dernier bouquin). Ou alors drôle. Quelqu’un racontait à propos de Quignard (oui, sur la fascination, il y a lui et Baudrillard) que le moyen le plus sûr et le plus rapide pour devenir fou, c’est la culture. Sans aucun doute. Si elle n’est pas l’occasion de ne pas le devenir ou de rire, on s’en passe volontiers (mais voilà : aussitôt dit ça, une envie du contraire…).
Bref. Quand les humains sont sérieux, c’est là que c’est le plus simple de les cueillir. Parfois ils veulent ce qu’ils disent, et sont content d’être cueillis. C’est pour ça qu’on les écoute avec respect, à cause de leur sérieux : quand c’est sérieux, c’est important, il faut le noter, il faut marquer l’humain, le retenir, dans les archives d’une histoire trop humaine. Il faut être sérieux, quand il s’agit de l’humain ! Mais franchement, on s’en fout. Et c’est d’ailleurs tout un malentendu, y compris avec nous-mêmes…
Bon, la question primordiale pour l’instant, en dehors du travail, c’est : bondieu, quels bouquins est-ce que je vais emmener ?
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