samedi, août 18, 2007

Reprise en fin de virage, tour d'essai (toute cordialité étant)

Grenoble, le 11 août 2007

A l’attention des responsables des services vacances jeunes et recrutement

Objet : rupture du contrat de travail, centre de vacances de L***, séjour du 5 au 26 août 2007, sous la direction de Mme L***

Madame, Monsieur,

je souhaiterais vous faire part de ma profonde consternation suite à la rupture de mon contrat de travail à la fin de la période d’essai de trois jours, le 7 août, au poste de plongeur au centre de L***, sous la direction de B*** L***, assistée à l’économat par B*** (je suis désolé d’ignorer son nom de famille).

Le rapport qu’elles m’ont obligé à signer, après m’avoir demandé de l’annoter, ce que j’ai fait très brièvement et seulement sur les points qui me semblaient les plus ahurissants, étant donné l’état de choc sous lequel je me suis retrouvé, est, comme B*** l’a dit à ma place, pour le moins subjectif. Une subjectivité qui ne semblait pas du tout l’inquiéter, de la même manière que sa dernière phrase, « c’est bien, je vois que tu as des arguments », indiquait qu’il m’était totalement inutile de me défendre, que loin de m’écouter, elle ne m’entendait même pas — et pour continuer dans la métaphore sensorielle, je dirais qu’elle ne peut pas me sentir. Elles ont utilisé tout ce qui était en leur pouvoir pour m’évacuer le plus rapidement possible, n’hésitant pas à aligner les points négatifs, sans rien de positif, et en tablant, à mon avis, sur l’hypothèse que ces points soient vaguement, quelque part, justifiés, pour se donner raison. Ce ‘‘quelque part’’, est logé me semble-t-il, dans l’image qu’elles ont eu de moi, dans un premier abord qu’elles n’ont jamais cherché, par l’interrogation de leurs représentations et de leurs préjugés, et par des discussions avec moi, à remettre en cause.

La première discussion qui ne relève pas de l’ordre donné que j’ai eu avec l’un des membres du quatuor directionnel a eu lieu dans la voiture me ramenant à la gare de Bellegarde, avec M***, le mari de la directrice, chauffeur magasinier et en charge des tâches administratives durant le séjour. Il est vrai que le temps manquait pour d’autres échanges que professionnels, mais les instants que nous avons passés ensemble auraient pu être utilisés à d’autres fins qu’à raconter des blagues d’un goût douteux, la directrice et l’économe, qui par ailleurs n’ont cessé d’instaurer un climat nous maintenant dans la peur, ne semblant pas savoir avoir d’autres relations avec le personnel technique qu’en mimant la caricature de la femme de ménage portugaise…

M***, qui m’a dit que je ne « savais pas me vendre », a pourtant été le seul à remarquer qu’il y avait peut-être autre chose, chez un membre du personnel technique, que le masque de sa fonction. C’est sans doute également une volonté de la direction que nous portions ce masque pendant trois semaines qui m’a fait leur remarquer, au cours de la grosse réunion, qu’« il faut bien, comme disait l’autre, que le corps exulte », suite à quoi, intégrant mon propos dans le cours de la discussion, je leur demandais si « cette exultation doit être collective ou individuelle » ; leur éloge de la « fuite intellectuelle » (B***) et de la « sublimation » (B***), ne peuvent, me semble-t-il, dans le cadre d’un travail commandé, que moins se répercuter positivement sur le travail que négativement sur celui-ci et les autres dimensions de la vie quotidienne, créant du ressentiment, et donc cette personnalité pour le moins hasardeuse qu’elles semblent prêter tout naturellement au personnel technique.

Le mépris du personnel technique qui est le leur et se doublant d’une terreur instituée (par un langage jouant sur les contradictions et par un jeu sur l’explicite et l’implicite), s’ajoute à l’absence de considération pour le travail. En effet, les blâmes ne sont pas distribués en fonction du travail, mais selon des vues qui leur appartiennent en propre. Une machine de plonge ne cessant pas de tourner n’est vraisemblablement pas signe d’un travail acharné, de même qu’une cuisine non lavée en trois jours n’est pas signe d’un manquement ; lorsque je leur ai fait remarquer que leur ordre d’aider l’aide-cuisinier, dans l’attente d’un nouveau cuisinier, n’avait jamais pu aboutir pour la simple raison que je ne pouvais aider quelqu’un n’ayant pas commencé à travailler, et encore moins suppléer à un poste entier, elles n’en ont rigoureusement pas tenu rigueur ; de la même manière qu’elles n’ont pas tenu rigueur de mon aide pour faire les lits des enfants, après avoir effectué mon travail et aidé l’aide-cuisinier à préparer des salades et des desserts, lui qui s’est dédouané des tâches ménagères de cuisine, se réclamant spécialiste de « l’assemblage » et me proposant de ne « pas m’emmerder » en voyant que je déballais des gâteaux plutôt que les laisser trois par trois dans leur emballage, pour ne pas confier cette tâche aux enfants.

En revanche, je ne sais pas où il est marqué que cheveux longs signifient nonchalance, qu’un reste de pack de bière datant du séjour précédent signifiait que je buvais dans ma chambre (une discussion, à un moment donné, au sujet d’une autre personne, pour laquelle leur mépris est le plus grand, mais qu’elles manipulent, a conclu que boire seul signifiait alcoolisme…), et qu’avoir les yeux rouges, un soir après le cinquième, à deux heures du matin, voulait dire que j’avais consommé du cannabis (« il y a des gens qui ne pratiquent pas mais qui s’y connaissent », faisant référence, d’après mes informations, à son adjoint pédagogique ; « à moins que tu étais très fatigué », lança-t-elle ironiquement, ce qui était probablement le cas si j’en juge par la rapidité avec laquelle je m’étais endormi ce soir-là). Ce dernier reproche a également été fait à un collègue, auquel il a été laissé « une deuxième chance », et qui est tout aussi irréprochable que moi sur ce plan-là. Un autre collègue, présent l’an dernier, sous leur direction, n’en revenait pas de leur comportement, se demandant quelle mouche les avait piquées. Tous ont été choqués de ce comportement, n’osant cependant rien dire ou faire avant la fin du séjour, par peur.

B*** L*** me l’a répété un certain nombre de fois : « tu n’es pas viré, c’est juste qu’on ne veut pas continuer avec toi. C’est la fin de la période d’essai. Tu ne corresponds pas à ce que nous souhaitons mettre en place cette année. Nous ne te virons pas comme un chien, nous devons nous assurer que tu dors quelque part ce soir, sur le centre ou ailleurs, que tu ne dors pas dehors, et que tu prendras le train demain. Nous t’accompagnerons au train et nous pouvons te faire une avance sur salaire. C’est l’humain qui passe en premier, et nous te respectons en tant qu’humain, en tant qu’être. Ça, rassure-toi, nous ne t’attaquons pas sur ce plan-là ».

Je considère toutefois cette rupture de contrat comme un licenciement, et abusif de surcroît, bien que la période d’essai figure dans les clauses du contrat de travail. Son propos pour le moins ironique sur le « respect de l’être humain », est venu peut-être à son esprit à la vue du livre de Lévinas que j’étais ces jours-ci en train de lire ; certains, au séjour précédent, ne m’avaient-ils pas qualifié, m’a-t-on dit, de « philosophe », d’« intello », au seul motif de la lecture d’un livre de Cauquelin ? L’insistance sur ce « respect », cette tenue à la limite du supportable, n’a-t-il pas déjà quelque chose de profondément suspect ? D’autant plus que seul le masque pour elle compte, et quel masque… Et, qui plus est, peut-on considérer comme masque ce que l’on nous demande d’être pendant trois semaines, sans discontinuer ?

Comment, par ailleurs, considérer leur promptitude à ce que j’aie où dormir le soir, à me raccompagner à la gare le lendemain (en me cachant toutefois l’horaire du train qui m’arrangeait le mieux, et qui finalement arrangeait tout le monde), à me fournir une avance sur salaire et me donner un sandwich ?

A mon père, qui l’a appelé avant-hier 9 août, B*** L*** n’a rien trouvé de mieux à dire que je manquais d’arguments pour me défendre, quand bien même elle ne les a ni écoutés, ni même cherché à les entendre. Elle lui a affirmé que c’était surtout « un ensemble de petites choses », un « flottement », ce qui laisse surtout supposer son absence de tout argument valable, tout en laissant entrevoir le motif véritable de la rupture de mon contrat : pour des raisons que j’ignore, et que peut-être, elle également ignore en partie, pour autant qu’on peut se passer de raisonner lorsqu’on a le pouvoir et que l’on en use de la manière que l’on désire, je la dérangeais.

Elles ont rédigé un rapport et pris leur décision sans même me consulter plus avant, ne se fiant qu’à leurs préjugés et à ce que ceux-ci leur permettaient de voir, jusqu’aux débordements d’une imagination malsaine, ne m’offrant qu’une perspective pour le moins kafkaïenne, en proie à des sentiments me faisant basculer tantôt dans la jaune hilarité d’une mauvaise blague, tantôt dans la plus grande consternation, tantôt encore dans un énervement dont je me suis efforcé de n’en rien faire paraître, tentant de conserver mon plus grand calme pour me concentrer et essayer d’analyser la gouvernance dont elles font preuve, et dont je garderai pour moi les observations, me contentant d’assurer ma défense sur les points soulevés par elles à mon encontre.

Pour résumer mon point de vue, je dirais qu’elles se sont forgées une image de moi, sans, à aucun moment, chercher à la vérifier, ni à l’infirmer. Une image qu’elles n’aiment pas et que, sitôt leur décision prise (à mon avis très tôt dans le séjour…), tous les éléments, même phantasmatiques, dont elles ont cru pouvoir user, ont été sollicités pour corroborer l’image de moi qu’elles s’étaient faites. Je ne me reconnais pas dans cette image, reconnais encore moins l’interprétation qu’elles en font à mon égard, mais reconnais qu’elles ne savent ni ne veulent composer avec la moindre différence, non avec ce qu’elles veulent mettre en place (ceci, je m’étais engagé à le respecter, et je comptais m’y tenir), mais avec ce qu’elles apprécient, sur un plan beaucoup plus profond et quotidien ; en d’autres termes, je reconnais la mésentente, mais affirme également qu’elles souhaitent avoir droit au chapitre de nos façons de sentir, de penser et de nous comporter, ce qu’on appelle notre culture, de chacun des membres du personnel technique, bien au-delà des normes sur lesquels nous nous étions mis d’accord (et un bon nombre d’animateurs était atterré au sortir de leur première réunion, très peu préparés, visiblement, à ce à quoi ils devaient s’attendre). A cet endroit, comme à celui des raisons invoquées pour la rupture de mon contrat, je tiens à signaler des abus qui me semblent autant insupportables qu’intolérables.

Exposé des motifs mettant fin à mon contrat de plongeur :

Communication :

« Tu as un problème de communication », me dit B***. Je tombe des nues. Je repense à ce qu’un directeur m’aurait, paraît-il, qualifié d’autiste, autre accusation grave, affirmée sans preuve et sans être étayée le moins du monde, semble-t-il, ce genre de qualificatifs à peine supportables dans le cadre de relations interpersonnelles, alors dans le formalisme d’un rapport de travail…

Déjà bégayait-elle à moitié quand je lui demandai de préciser. D’après ce que j’ai pu comprendre, je n’aurais pas posé assez de questions. Je lui ai fait remarquer que j’ai posé toutes les questions nécessaires à la réunion ; à laquelle d’ailleurs, chacune de mes interventions semblait soulever un petit point, certes minime, mais qui importait dans le cadre de mon poste, leur demandait de trancher pour savoir comment procéder, et finissait par ennuyer par tout le monde à cause d’une sorte d’irrésolution, de « flottement » comme disait ailleurs B*** ; il faut sans doute mettre ceci au compte du fait que le poste de plongeur ne concernait que moi (ainsi, l’aide-cuisinier était présent, mais il n’a jamais été question de lui pendant les trois heures que dura la réunion).

J’ai fait remarquer également que si je ne posais pas de questions, c’est peut-être que, tout simplement, je n’en avais pas à poser, dans la mesure où le poste de plongeur, je pense le connaître suffisamment bien, en dehors des quelques réglages particuliers à ce séjour, qui n’ont pas manqué d’avoir été faits.

L’essentiel de nos échanges tournant sans cesse autour du travail, il est concevable que je n’avais pas grand-chose d’autre à dire, et lorsque ce n’était pas le cas, je me contentais, comme la plupart de mes collègues, de rester silencieux à un humour qui n’est, il est vrai, et je le regrette, malheureusement pas le mien.

Retards :

J’ai été accusé d’être en retard. Ce point semble relever davantage de leurs lectures que de leurs observations.

Aucun horaire ne m’a été indiqué. L’économe du mois de juillet affirmait que les horaires se devaient d’être affichés visiblement, ce qui n’a pas été le cas ici. Dans cette mesure, je perdurais dans des horaires habituellement tenus, tâchant de faire en sorte que ma journée soit effectuée, et que le temps nécessaire à l’aide de mes collègues soit libéré, en particulier en fin de matinée.

Je tiens à signaler que j’ai posé la question à B***, lors de l’arrivée des enfants, jour où le repas a été décalé, de l’heure de ma prise de service, et que celle-ci m’a indiqué un horaire retardé.

Le point qu’elles m’ont reproché, toutefois, n’était pas une prise de service, mais l’horaire d’un petit déjeuner, avant que les enfants ne soient arrivés. Le rendez-vous était fixé à neuf heures, et elles ont indiqué que le petit déjeuner était à huit heures. Mais en omettant d’ajouter, toutefois, que nous devions le prendre tous ensemble, ainsi qu’il est d’usage dans certaines familles, lorsque les enfants sont encore très jeunes. J’étais arrivé à huit heures vingt, et je dois dire qu’au vu de l’ambiance cérémonieuse qui régnait, je me suis senti obligé, après un grand bonjour à l’assemblée, de manger une tartine, ce que je ne fais jamais.

Le lendemain, lorsque les enfants étaient arrivés, deux collègues se sont sentis obligés de venir à huit heures, commençant à neuf heures, du fait d’un « flottement » à l’égard de la perception des us et coutumes des dirigeants des lieux, ce qui a bien fait rire un ‘‘ancien’’, leur signifiant qu’ils faisaient ce qu’ils voulaient tant qu’ils prenaient leur fonction à l’heure (cet ‘‘ancien’’ se chargeait de guider ses collègues ayant moins d’expérience).

Manque de dynamisme :

C’est un point que je n’ai pas compris. Le poste de plongeur bat au rythme de la machine, et celle-ci n’a pas désempli. Seulement, elles trouvaient que je subissais ce rythme.

Ouvrir la machine, sortir le panier, en entrer un autre, décharger le précédent en vérifiant la propreté de la vaisselle, charger un nouveau panier, le prélaver au jet, ranger de la vaisselle propre, tout en s’occupant dans le même temps de la ‘‘grosse plonge’’, le tout au rythme d’une machine par minute, sont des actions desquelles résulte un poste particulièrement dynamique et mobilisateur, auquel je ne crois pas avoir failli.

Il est probable qu’elles ne m’aient pas considéré comme une personne dynamique, mais je leur ai fait remarquer que le dynamisme était précisément ce que j’appréciais dans le travail. Du reste, c’est également ce que l’économe du mois de juillet observa, lorsqu’il me dit avoir apprécié mon travail lorsque celui-ci se mit à devoir répondre à un dynamisme particulièrement poussé, du fait de repas extraordinaires.

Les normes HACCP :

Elles m’ont reproché de ne pas avoir respecté les normes HACCP. Je reconnais avoir marché en cuisine sans les chaussons bleus. Cependant, certains points méritent d’être précisés.

Ainsi, certains emplacements de vaisselle se trouvant en cuisine, je devais poser cette vaisselle sur la table chaude, à l’endroit de l’ancien passe-plat. Ce qui est faire fi de l’état de propreté de cette table au moment du service, et la seule fois où j’ai respecté ce point, c’était lorsque qu’un collègue, présent l’an dernier, était venu m’aider, en fin de service, et sans tenir compte de ses protestations (l’aide-cuisinier de l’an dernier les grondait pour cela) ; quand bien même en réunion il avait été établi que cette manière de procéder serait d’usage, le rangement étant confié aux cuisiniers, les plats sont restés plus de deux heures à cet emplacement.

Bien que je reconnaisse avoir marché en cuisine sans les chaussons bleus, je dois signaler qu’il serait bon que les agencements suivent l’évolution des normes à respecter. La limite de la cuisine fixée entre la plonge et celle-ci pose de nombreuses petites questions d’organisation Et encore, un accord tacite autorisait l’accès du plongeur à la grosse plonge, où se trouve par ailleurs une armoire comportant une bonne partie de la vaisselle de cuisine ; un autre point de « flottement » entre implicite et explicite, chez ces personnes qui se font vertu de tout expliciter — repoussant du même coup l’implicite au sein de la culture du personnel technique, au-delà même des normes définies en commun, et à propos desquelles elles nous ont fait signer un accord, que je m’étais engagé à respecter.

Individualisme :

Si ce point visait à observer que le poste de plongeur est l’un des postes les plus solitaires, tout en étant central dans l’organisation spatiale, je ne verrais pas en quoi ce serait un reproche. Quels étaient les reproches ?

Elles ont remarqué mon entente particulièrement bonne avec mes collègues, mon intégration certaine. Elles n’ont pu manquer d’entendre que lors de la réunion, j’ai proposé d’inscrire parmi mes tâches ce que je faisais, ailleurs, sans le crier sur tous les toits, à savoir mettre la table pour le repas de midi, aider ponctuellement l’aide-cuisinier, ou toute autre tâche nécessaire en fonction de l’organisation des autres postes.

Dans le quotidien non plus, je ne vois pas où j’aurais pu être individualiste, ne débarrassant jamais uniquement mon assiette, proposant de servir les autres à table, ne fuyant pas les moments en commun.

Si cet « individualisme » tenait à faire remarquer mes questions, pendant la réunion, concernant mon seul poste, cela ne fait-il pas observer que le plongeur est seul à son poste ? Il est vrai également que j’ai demandé une avance sur salaire, mais c’est bien la première fois qu’une directrice me dit n’en avoir jamais entendu parler.

C’est peut-être à cet endroit qu’il faut signaler qu’elle aurait dit à mon père, l’appelant, que j’étais là pour « un job ». Il serait absurde d’opposer un emploi saisonnier à un métier ou à une profession, d’autant plus que le poste de cuisinier seul répond à ces définitions. Cependant, si je préfère travailler en colonie de vacances plutôt que postuler pour un quelconque ‘‘job d’été’’, c’est parce que les centres de vacances sont un lieu de vie. En réunion, B*** a dit que les centres de vacances ne sauraient être « un lieu d’expérience », mais pour dire exactement l’inverse le lendemain ; tâchant d’interpréter ses propos, afin de résoudre ce double bind, et ainsi guider mon action — j’aurais certes pu lui demander d’expliciter ses mots, mais quel (nouveau) reproche ne m’aurait-elle alors pas fait ? —, j’en ai librement conclu que les centres de vacances étaient un lieu d’apprentissage de la discipline, le ‘‘collectif’’ ne renvoyant alors qu’à la structure sur le mode du panoptique, c'est-à-dire où toutes les dimensions de la vie sont celles seulement autorisées, sans que les sujets ne fassent preuve de liberté individuelle, d’autodétermination, de volonté propre, et encore moins, bien sûr, n’aient de besoins non pris en compte par ceux dont ils sont ‘‘à la charge’’, comme on le dit d’enfants dans le cadre familial. Les relations interpersonnelles comme les relations segmentées semblent être bannies, au profit de la perpétuelle épreuve en commun de la structure collective, au sein de laquelle, toutefois, les normes strictes et l’explicitation régnant trop seules, de telle sorte que l’activité des sujets ne cesse jamais d’être une explicitation et une discussion autour de ces normes — au point que la participation à l’humour ‘‘femme de ménage portugaise’’ même, relève probablement de l’épreuve montrant si l’on a bien incorporé notre rôle.

Pour terminer sur ce point, il semble que des associations de termes pourtant différents soient faites. Entre être et masque, entre corps et rôle, entre travail et culture, pour les plus évidentes. Cela m’évoque une expérience précédente, un séjour d’une semaine au terme duquel le directeur, au moment du rapport s’est déclaré « enchanté de faire ma connaissance »…, et deux de ses animateurs s’y reprenant à quatre fois, la veille, pour demander à une collègue et à moi-même, où, finalement, nous faisions le ménage une fois le séjour terminé ; il était regrettable que d’apprendre que nous étions des étudiants plus âgés qu’eux les ait fait fuir ; une telle situation ne s’est pas produite durant ce séjour-ci, mais l’on peut presque se demander s’il n’y avait une certaine volonté d’y parvenir.

Les poses et le tabac :

Il m’a été reproché de faire trop de poses et « d’avoir un problème avec le tabac ». Je tiens à signaler de manière catégorique que je n’ai pas pris plus de poses que les autres. Compte tenu de nos fonctions différentes, elles ne se déroulaient pas forcément dans le même temps ; si je souhaitais lire durant ma pose une page d’un livre, cela ne regardait que moi ; et enfin, la durée passée après le service au lieu de la pose, souvent avec d’autres personnes, ne regardait, me semble-t-il, également que moi.

Le lieu de pose est un lieu de retrait en marge du travail (aussi géographiquement éloigné) et je n’ai pas outrepassé le nombre de poses permises. Si elles souhaitaient nous voir totalement disparaître en dehors de nos heures de service, encore fallait-il nous le signifier. De même qu’il aurait fallu nous signifier si elles préféraient que nous fassions notre vie ailleurs que dans le centre ; à cet endroit, d’ailleurs, une certaine ambiguïté dans le presque rire accompagnant leur « nous serions heureuse de vous voir participer au cinquième » de la réunion, prévu particulièrement tard.

Toute acclimatation docile à un dispositif très ferme ne trouve son pendant que dans un surcroît de confiance en la personne de ses garants, ce qui n’est guère possible lorsque l’on se sent particulièrement méprisé autant qu’infantilisé ; le double bind que cela occasionne ne peut sans doute que trouver sa résolution dans une fuite ou dans l’anxiété, si l’on ne tolère que moyennement le rôle incorporé qui nous est imposé. De là, sans doute, le nombre plus important qu’à l’habitude de cigarettes fumées en dehors de mon temps de service. Si « l’humain passe avant tout », comme B*** m’a dit, et en supposant qu’elle n’entende pas par là les ‘‘images normales’’ qu’elle a de telle ou telle fonction, j’avoue m’être lancé dans des abîmes de réflexion afin d’interpréter ses propos sans aucun préjudice.

L’alcool et les produits illicites :

Les deux dernières lignes du « rapport de fin de séjour » indiquent :

— « je reconnais avoir consommé de la bière dans ma chambre » ;

— « je reconnais avoir consommé des substances illicites ».

J’ai indiqué pour la première « NON !! », et pour la seconde « SÛREMENT PAS !!! ». Concernant cette dernière, qui m’apparaît la plus grave, je lui ai demandé des preuves. B*** m’a répondu « il y en a qui ne pratiquent pas mais qui s’y connaissent ». Elle m’expliqua qu’après le cinquième, à deux heures du matin, quelqu’un m’a vu avoir les yeux rouges. Il s’agirait, d’après mes informations, de son adjoint pédagogique, qui ferait des études indéterminées dans « ce » domaine (un domaine de la médecine, peut-être), et qui était présent le soir en question. Celui-ci ne m’a jamais adressé la parole, à peine pour me dire bonjour (le bonjour est chose particulièrement essentielle pour eux), y compris la fois où avec un collègue nous l’avions salué (sans du reste savoir encore qui il était exactement), se contentant de nous regarder avec une froideur à ravaler notre politesse.

Tombant des nues, j’ai demandé des preuves à B***, qui m’a assuré ne pas en avoir besoin, signifiant par là implicitement, avec un large sourire, qu’elle est libre d’affirmer ce qu’elle veut en toute impunité. Elle a ajouté « c’est notre parole contre la tienne ». Elle a encore ajouté, alors que je ne trouvais pas mes mots dans ce labyrinthe kafkaïen, que je trouvais peut-être que « c’est subjectif », propos que je lui laissais le soin de tenir, si tel était son désir, puisqu’elle ne semble pas se contenir sur ce plan-là, elle qui pourtant affirme haut et fort qu’elle « sublime » (au cours d’un repas, ce que j’ai pris pour moi, dans une paranoïa peut-être excessive), en ajoutant toutefois qu’il faut des preuves pour affirmer pareille ignominie. Elle a dit dans une ironie non feinte que c’était peut-être que j’étais très fatigué, ce qui était du reste le cas, mais je suppose que lui dire que j’ai les yeux fragiles n’aurait servi à rien face à l’ampleur de l’accusation…

Elle a eu le culot de me laisser le soin d’interpréter « cannabis » en lieu et place de ses « substances illicites », sur l’air de qui veut dire ‘‘tu vois bien de quoi je veux parler’’, confondant faculté d’interpréter, de deviner, avec culpabilité ; dès la réunion, en fait, abordant ce sujet, elle avait regardé un collègue et moi-même, comme si cela nous concernait ; ne faut-il pas plutôt en conclure qu’elle nous avait désigné coupables d’emblée, sur la base, peut-être, de l’image qu’elle avait de nous ? Et s’« il faut reconnaître que le pouvoir monte à la tête », comme me l’affirma son mari M***, n’est-ce pas déjà dans cette manière de considérer avec véracité, sans réflexion, ni confirmation, mise à l’épreuve, tentative d’infirmation, toutes les représentations qui peuvent nous venir à l’esprit ? (Il est vrai qu’il peut paraître absurde d’attendre le respect d’usages scientifiques dans un autre domaine que celui des sciences, et a fortiori dans le domaine du pouvoir dans le monde ouvrier.)

Je ne consomme pas de cannabis et n’en ai jamais acheté. J’ai déjà testé ce produit, dans un excès de socialité, mais l’angoisse dans lequel il m’a plongé m’en a éloigné, je crois, définitivement.

Je consomme, en revanche, plus volontiers de l’alcool, qui a du reste le mérite, à mon sens, au contraire du cannabis, de favoriser la reliance. Mais je ne bois pas au point d’être malade, ni même, pour tout dire, au point d’être saoul. Une discussion, au cours de ces trois jours, avait établi que boire dans sa chambre était synonyme d’alcoolisme. Je dois donc en conclure que, puisque « je bois dans ma chambre », selon ses termes, je suis un alcoolique ; ce qui est loin, mais alors très loin d’être le cas.

Je l’ai tout de même interrogée sur ses arguments, et comme pour les substances illicites, ils me paraissent d’une insoutenable légèreté. Ayant laissé des affaires dans la chambre que j’occupais entre les deux séjours, il y avait le reste d’un pack de bière que des collègues du mois précédent avaient acheté, et qu’ils m’avaient proposé de laisser, n’ayant pas de place pour le prendre. B***, visitant le centre à son arrivée, a vu ce carton dans l’armoire de la chambre que j’avais occupée, et c’est sur cette base, apparemment, qu’elle m’a incriminé. Si encore elle avait pu découvrir des bouteilles de bière vides dans ma chambre, ou des verres sales ayant contenu de l’alcool, je pourrais commencer à concevoir ses doutes, mais là, je ne peux que constater un excès de zèle à l’endroit de ses préjugés ; et concernant ceux-ci, je ne peux que saluer son imagination débordante !... Je trouve préjudiciable de confondre des bières dans un placard avec de l’alcoolisme ; sur cette base, puisqu’il y avait des canettes de bière et une bouteille de cidre au cinquième, pourquoi ne pas accuser d’alcoolisme tous les participants à celui-ci ?

Concernant le cannabis, je n’ai pas été le seul incriminé, et à mon collègue, à ma connaissance, il n’a même pas été remarqué des yeux rouges…

En fin de rapport, après que j’ai réfuté une à une toutes les charges qu’elles avaient contre moi, avec dans presque tous les cas bien trop peu d’arguments, B*** m’a dit « c’est bien, tu as des arguments pour te défendre », avec un sourire aux yeux plissés qui semblait la combler. Cet abus de pouvoir, sans même ajouter qu’elle aurait dit à mon père que je n’avais pas eu d’arguments à lui opposer (ce qui laisse songeur), n’en est finalement qu’un de plus.

Je sais bien que juridiquement, mettre fin à la période d’essai n’équivaut pas à un renvoi, mais c’est pourtant de cette manière que je ressens ce que je considère comme une sanction, pas seulement abusive, mais également largement, pour ne pas dire totalement, injustifiée.

Je vous prie de bien vouloir m’excuser de la longueur de cette lettre, qui, je vous l’assure, est proportionnelle à l’injustice et à l’injustifiable méprise dont je me sens victime.

En vous remerciant de votre attention, veuillez agréer l’expression de mes sentiments distingués.


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