dimanche, août 24, 2008

Sergvolant presents : la sublimation d'une pause repas d'un play-la-machine

Ce midi, à 14 heures 30, j’étais en pause repas, et le temps d’avaler un sandwich-machine fade et trop mou, j’allais manger un vrai sandwich à l’entrée du parc, que je longeai par la route dans l’espoir vite démenti de croiser un bus pour gagner quelque temps comme on gagne quelque argent, puisqu’il est dit que l’argent c’est du temps ; salaud de sandwich à frites qui m’a fait vider des litres de flotte après pour me débarrasser de leur sel.

Je passe devant le musée d’art contemporain, le MAC Lyon, le MOCA Lyon, l’affiche pour Kendall Geers, abandonnant mes hordes de collègues à leur codemaster, leur ordi, leur souris, leurs sourires, vint le moment de tension m’arrêté-je devant Interpol, m’arrêté-je pas, le bus, puis non, je continue, soudain —

Une explosion ravagea, mais un peu plus tard en fait, c’est mieux, le bâtiment des super flics, spider men des réseaux bleu prison, le drapeau qui flotte devant et son architecture pas trop trop rococo. Ça passe aux infos, à la radio, partout, Dieu qu’il y a toute la famille, enfin certain plutôt, qui se dit Mon Dieu l’autre il bosse à la Cité Internationale, ils ont dit ça, la Cité Internationale, qu’il y bosse jusqu’à 21 heures, et qu’eux on se demande comment ils ont chopé l’info alors qu’ils vaquaient à leurs occupations d’un samedi d’août après-midi ; au moment du 11 septembre aussi, je n’avais vraiment rien à faire en plein après-midi devant la télévision.

Voilà qu’on m’appelle, que je réponds placidement. Salut ça va ? On m’interrogea plus tard, Oui j’ai entendu un boom, j’ai fait ha merde, puis je me suis dit qu’à gauche ça devait à peu près être par là, alors j’ai fait putain de bordel de merde. Quelque part je cours super vite, mais c’est pas raconté, faut quand même pas exagérer, d’ailleurs idéalement il y a un bus qui m’emmène à ce moment-là

Tout n’est pas drôle alors je change la donne plusieurs fois, même que je ne me rappelle plus de grand-chose. C’est plein de décombres et d’un caméraman. Un appel arrive alors que je venais de dire à des collègues que j’aime bien de pas trop crever, dans des élans de mélodrame de série américaine d’après-midi d’il y a quelques années, des films de Bruce Willis, tellement qu’il fallait qu’un appel arrive, et je réponds bien sûr. SFR bonjour Sergueï à votre écoute. Mhh mhh mhh gnagnagna rhataki arschouille pff. Très bien monsieur donc vous souhaitez bénéficier d’un renouvellement de mobile pour le Nokia N95 8 gigas à un tarif frôlant le zéro sous prétexte que vous avez 5000 pauvres petits points carré rouge et que vous réglez vos factures depuis 5 ans. Souhaitez-vous avec ceci un ordinateur portable, les clés du coffre et un reliquat de la dernière épilation de Lady Diana ? Je vais vous demander de rappeler, monsieur, parce que là je sais pas si vous êtes au courant, bien que ce soit moins important qu’un Nokia N95, mais des plaisantins ont truffé Interpol de pétards un peu secs, ce qui fait que je suis en maintenance informatique, et que le service est en grande partie en maintenance humaine aussi, en fait mes collègues sont passablement morts, enfin à ce moment de l’histoire peut-être ceux que j’aime pas, dont je me fous, connais pas, les autres étant un peu tremblants. D’ailleurs monsieur je vois une caméra, nous passons peut-être à la télévision, regardez monsieur je vous fait coucou : coucou !

Je dis à ceux que je connais de pas mourir, j’essaie. Y’a les jumeaux, y’a D., y’a F., y’a A. un peu plus loin, F. finit aussi par être par là, j’avais oublié qu’elle était à l’étage au-dessus et que ça ne compte plus trop. C’est plein de moment très chiants, très beaux aussi, faut aimer le genre : Dis à ma famille que je l’aime, Tu lui diras toi-même (fais coucou à la caméra !). Bien sûr y’en a qui meurent, comme F., la deuxième, qui en fait n’était pas là ce jour j’ai appris ça plus tard, dans un éclat de rire déclenché par je ne sais plus laquelle de mes feintes.

Des discours. Plein de discours. Un discours sur chacun, quelques mots sur leur devenir, leurs désirs, leur vie future peut-être. D. qui n’inscrira pas le but vainqueur du Gabon en finale de la CAN, les jumeaux je n’y ai pas pensé ils ont pas du mourir, les autres je ne sais pas, j’ai juste pensé pour F. et je n’ai rien trouvé. En tous les cas je ne cours plus dans tous les sens, aussi drôle qu’impliqué dans mon rôle de survivant, au moins autant que dans un appel ; non mais j’accepte le rôle de survivant, de témoin, vous savez je ne pense pas qu’on doit tous crever non plus, il en faut pour témoigner de ce qui s’est passé.

A la presque fin je n’en peux plus, la plupart ont été emmenés par les pompiers, que mon agitation a dévié de leur trajectoire vers des inconnus vers les connus, les autres sont morts, et je sors du cercle des décombres en hurlant, pleurant, et je m’attaque en le traitant de terroriste de l’image affectuelle au journaliste qui traîne encore par là avec sa caméra, à l’écran on voit l’image qui tourne, sur quand même pas mal de mètres, belle technique de respiration de ma part, avant de finir dans l’herbe.

A la fin de cette histoire au début de laquelle je m’étais dit que je n’avais jamais laissé sur place que mon casque au petit micro, je suis un prêtre, enfin, plutôt moi-même, qui commence à dire, puis chanter, un discours de clap de fin sur un rythme naturel, qui se trouve être hip hop, ce qui part légèrement en gospel, avec un refrain que les participants peuvent chanter également, même que certains se mettent à faire les bruitages musicaux. Tout ça se termine bien, c’est très beau, c’est très parfait. J’avais terminé mon sandwich sans un instant penser à moi-même, ahah, mon cœur, le paysage qui m’entoure dans lequel je ne me sens pas en confiance à m’en sentir distant, sans fumer, sans manque ni besoin, ahah, balançant dans mon imaginaire de la pause repas ce que d’autres se foutent devant les yeux le soir sans vraiment s’en cacher, l’ersatz phantasmatique de vie de ceux qui n’en ont pas. De la culture, quoi. (Qui remarquez-le, featuring déji Marxou, ne peut qu’être le fait des travailleurs.)

La journée sinon s’est bien passée. J’ai fait des deux heures d’affilée sans crever d’envie de pause, je n’avais pas eu envie de détester tout le monde, je n’ai raccroché qu’à l’une gueule de client, le genre qui ne veut rien entendre ben moi je ne l’écoute plus, il n’a qu’à pas disposer que des impossibilités autour de son cas, et le plus difficile de la journée a terminé en me demandant mon nom et mon mail chez SFR pour m’envoyer des fleurs et surtout que ça se sache (je m’en fous remarquez j’ai aidé des collègues à pas mourir, alors même si tout le monde se fout du profil banlieusard bac +2, à part peut-être Nico allez donc bien savoir, c’était quand même chouette, de passer à la télé et que des cinéastes s’inspirent de mon personnage après, et vous pouvez rien dire parce que c’était plus drôle que là d’abord). Moi je dis : mon meilleur ami c’est le client, le reste n’est qu’une rigolade ; le travail également.

Et si ce n’est dans le soir, quelques blancs m’emmenant dans des trous noirs ; comme une recherche de proximité enfin avec le bien distant, sans joie ni dynamisme, qu’un pseudo-recul mains sur oreilles bouche hurlante pour ne pas accepter la faiblesse (tu te rappelles, dis, le tact, l’écoute, la grâce ?) d’un cœur ouvert, d’une envie d’affection, près d’une pierre froide et d’un couteau caché ; mais je crois que les ponts sur le Rhône ne sont pas assez haut. (Et l’explosion d’Interpol ? ah ben non, merde alors.)


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