dimanche, juin 08, 2008

Un film français

Qu'est-ce que c'est que ce film que j'ai pris en cours de route ; sur arte, ce soir. Un film très français.

Une histoires d'amours et de filiation, de masques et d'identité, de changement et de fidélité, d'enfance et de mort(s), de musique et d'oubli.

Des êtres angoissés et superficiels, profonds et légers, qui virevoltent et changent de vêtements, qui aiment et se fracassent sur des images, les quittent et les retrouvent, en crèvent de manque et les fuient comme s'ils les avaient oubliées.

Des personnages qui virevoltent, un chapeau, un paletot, qui tournent à un Hymne à l'amour et s'envolent au détour d'un piano, d'un violon. Leurs voix graves pleines de larmes, leurs débats dans la nuit, seuls, manipulés par les souvenirs, les morts, qui reviennent leur parler ; leurs voix, légères, qui manqueraient disparaître si la légèreté de leur toucher des choses ne s'accompagnait d'une inertie extrême ; et leurs voix, aigrelettes, rieuses, comme les mouettes s'envolent vers d'autres horizons en se riant du bâteau dont elles connaissent le port et qui en a un peu honte de tant de liberté.

Dans les films français, dûment étiquetés A.O.C. et du label Terroir, les personnages sont perdus. Les voix, les sons, les souvenirs, les situations, les occasions, les rencontres, les réseaux, les accroches, les défis et les manques, les sourires et les pleurs, les trimbalent en une danse qui définira leur trajectoire, fondera leur identité, au-delà de toutes les images auxquelles chaque pas de danse macabre touchante et belle les fait à tout instant se cogner et se détourner vers une autre ; jusqu'à perdre leur image, jusqu'à devenir autre, soi-même.

Tous les personnages font partie d'une grande famille, liés par un être, un objet, une chose. Ils se parlent, se regardent, se sourient. Et tous les personnages sont seuls, ils vont et ils s'en vont, deviennent ; ne sont jamais qu'images, et l'être à travers eux, l'objet, la chose.

Pas d'arrêt et d'oubli l'un dans l'autre dans une mélancolie partagée soufflant la bulle d'un nous à l'exclusion du monde. Ni de fusion passionnelle et folle où l'autre est toujours trop loin, toujours à approcher, comme désespérément.

Elle est légère et elle s'effrite, cette eau qui coule contre une vitre, verte et bleue, quelques notes de piano et cordes.

Nul personnage n'a aucun monopole. Ni du sentir ni de la perception. Tout glisse, relatif, en mouvement perpétuel ; rien de fixe, aucune perspective stable sinon pour qui n'y participe pas ; que les opérateurs, que lui seul pourrait noter sans crainte, les personnages, eux, ce serait une nouvelle danse, un nouveau calvaire, un nouvel amour, un nouveau cauchemar ou un nouvel espoir, les amenant en un geste à une nouvelle image.

Des images, pas seulement des images ; des images agissantes, des sorts ; des images qui brisent leur propre image ; produisant un évènement, une stupeur, un affect ; leur donnant une autre image s'ils ne savent en jouer.

Comme cette scène presque finale où pour ne pas rencontrer un amant qu'elle tache d'oublier et qui subitement a découvert qu'il l'aimait, dont elle retomberait amoureuse si elle le retrouvait en descendant du train, elle échange ses vêtements avec une complice improvisée ; et c'est avec elle, coiffée de ce chapeau étrange, que l'amoureux partira, se préférant séducteur aux souffrances de l'amour ; pendant que l'héroïne marchera défigurée dans le ciret jaune de l'autre, déchue de madame à mademoiselle par la bouche de jeunes moqueurs et tendres de passage, qui la forceront à porter le béret qui traînait dans la poche, lui redonnant sourire, et un nouveau visage ; parvenant finalement à accepter le corollaire de la règle de son propre jeu, incarnant l'image d'une autre.

Ce travestissement, moyen de devenir par un nouvel opérateur, est l'effet d'une tactique, laquelle n'a rien à voir avec une réflexion ; car c'est encore de l'action, ou, plutôt, un effort ; rien d'une perception claire valant comme vérité et demandant à être transmise sans le moindre bruit possible pour que tout soit réglé. Rien ne se règle, tout devient, se fait et se défait, se perd et se retrouve, se brise et se raccroche, se rappelle et espère ; le long d'une trajectoire dont la clé est désir.

Des êtres perdus qui se désirent ; qui incarnent des images et désirent des images ; des images qui les fracassent dans un réel stupéfiant, plein de cris, de jouissances et de larmes ; vers d'autres images, d'autres désirs et stupeurs, le long d'un fil léger comme une ritournelle.

Cela se passe ainsi dans l'un des bleds qui est le mien, ce terroir français et ses films A.O.C.

Mais là ce sont des films ; en vérité il ne cesse jamais d'y avoir de l'être tout au long de ses métamorphoses ; le quotidien est lent et son temps long charrie d'autres sons, d'autres affects, d'autres perceptions et d'autres transmissions, comme s'il était tout ce temps hors cinoch que vivraient les personnages entre chaque moment à l'écran, tout ce temps authentique qui sans nier tout cela, ralentit la vitesse, alourdit la légèreté, réduit le nombre des métamorphoses et efface, dans le brouillard quotidien et le morne banal, les opérateurs, ces médiats des humains qui tissent leurs rapports et leur devenir.

Et là, depuis le début, je suis du coin de l'oeil, sans y comprendre quoi que ce soit, un film déglingué polonais, et ça n'a rien à voir.

PS : renseignements cherchés, le film s'appelle Toutes ces belles promesses, de Jean-Paul Civeyrac, avec des actrices du nom de Jeanne Balibar et Bulle Ogier, notamment. J'ai trouvé avec surprise une image de l'héroïne que je n'ai pas vue dans le film, ça devait être avant que je tombe sur ce film...

3 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Très beau texte...
Quand je m'ennuie, je trouve toujours quelque chose à lire par là. Comme quoi, l'habitude.
D'ailleurs, il fut un temps où je n'avais presque qu'à appuyer sur un bouton pour entendre des mots choisis. Oui oui oui.

Les mots, vraiment, ça exprime le fond de coeur. On ne peut pas dire de si jolies choses avec un mauvais fond (j'en sais quelque chose avec mes merveilleuses "archives", et puis l'amitié tout ça, etc). D'où vient alors ma légère terreur pour ce que je vois là ?

Je crois que Fourniret (ben oui, le tueur) était doué pour correspondre à distance, aussi. Il séduisit ses trois femmes par des lettres au départ. Avec la dernière bien sûr, il était déjà en prison, alors impossible de mentir, mais elle était assez "spéciale" pour y voir du charme...

Et puis lorsqu'une fillette à qui il demandait le chemin refusa de monter dans sa voiture, il s'indigna d'un tel manque de "confiance". C'est vilain de ne pas faire confiance (je crois que c'est ce qu'il lui a dit avant de l'enfermer dans le coffre)...

Oh, la vilaine!

9:54 PM  
Blogger MuseAnt said...

Il n'est pas question d'enfermer qui que ce soit dans un coffre.

En revanche la langue de Lilith ne pique pas, elle se fait couleuvre quand on la voit venir. Et les couleuvres, on les avale. Certes.

Le coup du psychopathe m'a bien fait rire, il fallait le trouver celui-là ! Comme univers de références masculines, on fait mieux, tout de même.

Comme on répond au serpent et à la mouche : tss tss.

10:29 PM  
Anonymous Anonyme said...

Hmm, tu as bien raison.
On se demande vraiment où je suis allée chercher ça.
Menteuse, tricheuse, siffleuse et venimeuse, C'est tout Moi. Je suis démasquée.
C'est vrai que tu n'as encore tué personne (sauf si tu as gagné une mystérieuse, incurable et mortelle maladie en m'approchant d'un peu trop près).
Désormais je sais qui est la méchante de l'histoire, au moins.
Et moi qui croyait recevoir des excuses :D

Alors bonne nuit, ange innocent.
Ou plutot : tss tss

11:34 PM  

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