Inconnecté
Je me connecte sur msn, hors ligne, et je regarde ma phrase : « les yeux fermés ; cette semaine au menu pécunier : lidlâtrine ! »
Envie de mouvement, de vie, de rire, de mots. J'ai envie d'écrire dans cette phrase : « découvrez les formidables aventures de PT2Tuna, dite Kaka, Mère, dite Marbella, VieillePeau, dite Prunlk, et les autres vieilles chattes du gang des Mamans Leur Pute, dit MLP ! »
Mais il faudrait que je l'écrive, cette histoire, et si elle constituerait une catharsis certaine, un contre coup favorable à l'exigence du travail, elle me demanderait elle aussi plus de temps et d'énergie que je ne suis disposé à lui en donner.
Et cela commence à m'exciter, tandis que je n'avais que l'envie de dormir, mais cela au travail, m'allonger lascivement sur mon lit, baigné par un rayon de soleil, lequel a tourné depuis longtemps, et dormir le jour comme par une chaude et calme après-midi d'été, lorsque le bruit d'une fontaine ou d'une source se fait entendre non loin. Je fais cuire des pâtes, ajoutées à deux oeufs déliés dans une poêle et plusieurs épices dispersées sur cette mixture, que je surveillance moins qu'il ne le faudrait, en ne parvenant pas à effacer de ma conscience une chanson parlant d'amour par internet, au texte et à la musique faciles, du genre à entrer dans la tête et à n'en plus sortir, reproduite à l'identique et à l'infini dans un cauchemar esthétique sans fin.
La nourriture est fade, du sel et du piment viennent l'agrémenter, et je mange en écrivant ces lignes, sur une chaise en métal bleu trop basse bien qu'à l'assise surélevée par un dossier de mon canapé-lit qui reste sans cesse ouvert depuis plus d'une semaine, mes bras trop hauts sur le clavier aux avant-bras calés sur le rebord de la table à en laisser des traces, entouré d'objets divers et hétéroclites qui m'étouffent, des cuillères, des paquets de tabac vide, des stylos, des briquets, des petites bouteilles d'eau vide en partie pleines et débouchées, un verre contenant de vieux sachets de thé, des livres, un cendrier, des crèmes pour les mains et le visage, un appareil photo, d'autres verres et des tasses à thé et à café, des sachets de thé et des peignes, un mp3 sans pile et des papiers divers, sortis de mes poches, une carte vitale et un baume pour les lèvres, des paquets de feuille à rouler et un paquet de mouchoirs, d'autres choses sous mon ordinateur surélevé par un livre de sociologie des oeuvres d'art valant moins que cela pour qu'il soit moins bruyant, et puis derrière, sous d'autres choses encore qu'en partie je ne vois pas, dissimulées par les choses et mon ordinateur, et une tasse contenant du sucre roux et de la poussière, de la saleté et des cendres, moi-même restreint par ces choses, et par ce traitement de texte où j'écris ces lignes, l'assiette à manger avant qu'elle ne refroidisse tout à fait, un jeu vidéo que je laisse en partie fonctionner seul derrière la fenêtre de ce texte, des livres à rendre à la bibliothèque pour aujourd'hui et un contrat de travail à poster à l'agence d'intérim, un devoir à rendre pour l'université et un autre à penser, et puis dormir enfin, dormir, sans peut-être aller chez ma mère manger le seul repas de la journée, hormis aujourd'hui ces pâtes aux oeufs, mes poches ne comptant pour la semaine que 8 euros et quelques 40 centimes, depuis vendredi jusqu'à vendredi, demain.
Vraiment, il me faut écrire ici que ces lignes sont un surplus, une surcharge dont je n'ai pas besoin, même pas pensées, projetées, travaillées, la monnaie de la pièce et de singe du travailleur vidé, fatigué, au corps marqué jusqu'au creux des oreilles, qui n'a ni la force de prendre une douche pour commencer une nouvelle vie même à moitié zombi, ni celle d'abandonner cette logorrhée flux, pure expression d'angoisse, comme on appelle le stress, mais laquelle se résout pourtant comme le flux s'épanche, sauf à construire quelque chose, surtout à se saisir elle-même, tant l'angoissé se désintrique de lui-même et jusqu'au point de rupture, où il peut prétendre à se saisir lui-même, et, dès lors, tombe, hors de lui et nulle part.
Il y a sur le bureau un porte-mine avec lequel j'ai tracé quatre traits dans quatre pages successives du livre de Proust que je lisais dans le bus et jusque sur le chemin, jusqu'à la porte de l'immeuble. Je refume une cigarette et me sens vide, déprimé et liquide d'avoir écrit cela pour rien, comme une lessive, qui emporterait le bébé avec l'eau du bain, expression que je n'ai jamais comprise, et je me dis qu'il n'y a là aucune réflexivité, très loin d'un texte proustien, et je mange à nouveau une fraise du paquet volé à la poubelle, des fraises bien mûres, comme je vais me servir un verre de lait pour remplacer les deux cuillères de cappuccino ajoutées à peu d'eau dans une tasse désormais vide. Tandis que je reçois un message sur mon téléphone, c'est si rare et c'est, encore, une publicité. Je ne sais pas ne pas être en face de moi-même en face d'un écran, et je repense à ce passage de Proust dont j'ai oublié de parler quelques lignes plus haut concernant la description d'une femme que je connais. Je vais m'arrêter là, personne n'est connecté, et moi, non plus. Mes mains râpeuses, desséchées et pliées, sentent encore la javel.
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