Monde laid vide manque monde
Tout vide, pas de mots. Ou presque. Cause adaptation à mon environnement, sans cesse. Le vouloir se fait la malle, du coup le monde aussi. C’est pas bien, ici, mais ne sait pas m’en extirper. Clope et divers liquides dans bibendum tuyauté. Même plus de rêves, rien. Coincé entre la mère et les divers médias, plus de place pour.
Manque une vue de l’esprit qui permet de garder la chaleur du port au milieu des mers. L’abandon arrive vite, très vite. Amour-propre disparu. Dehors ça ne répond pas, et quand il y a des signes, combien mauvais, alors bon. Quand il n’y a pas de lieu où fuir, et qu’on ne veut quand même pas accepter les miroirs de semblables naïvement eux-mêmes quoique virtuels, et plus encore. En les subissant sans cesse.
Insupportable monde tout éclairé. Pas d’ombre, pas de temps mort, pas de pause, pas de coupure, permanence du flux motivé, sourires à tous les étages. Force imbécile heureuse du présent. Avec une touche de naïveté pour faire joli. Nous sommes tellement tous aplatis que tout ce que nous faisons passe pour bataille, et même victoire. Les joies de l’égalité sociale alliée à la croissance démographique et l’ouverture des mondes.
Ce soir minuit cinquante documentaire Les Ténèbres (Sigmaringen !) d’un certain Thomas Tielsch sur Arte. Sur l’ambiance du gouvernement de Vichy et autres collabos réfugiés au château des Hohenzollern, appuyé sur des passages d’Un château l’autre de Louis-Ferdinand, post-décadent fasciné par le vide. Encore bien déprimant, pour changer. Peut-être, avec un peu de chance, une étoffe à mettre sur les épaules. Il y a trop de silence, disait l’autre il y a peu. Pas assez d’esthétique, aussi.
L’esthétique, c’est pas dur. C’est se sentir ‘‘chez soi’’. Placé. Soutenu par des courants invisibles mais les sens savent. Il n’y a pas assez d’esthétique, parce qu’elle a été récupérée fonctionnellement au profit du seul placement. Dis-moi qui tu es, ce que tu aimes, etc. Réponds et réponds juste, non de Dieu, sinon moi j’vais te l’dire ! Comme les blaireaux de quand j’étais petit. J’ai rêvé d’eux, d’ailleurs cette nuit, je m’en souviens d’un coup. On allait jouer un match de foot et je les retrouvais. Je jouais dans une équipe grenobloise, ou peut-être du campus. Pas particulièrement content de les revoir, mais quand même un côté esthétique, heimatien. Semblant d’être gentil et voilà qu’ils m’insultent. Je ne pense pas que je jouais. Même pas vu le match, traînais dans les rues du village, avec je sais pas qui.
On peut prendre les esthétiques qui nous sont données, mais le mieux est d’occuper une fonction, des fonctions, économiques, familiales et autres qui aillent de paire avec cette esthétique de contrôle. Parfaitement adapté à mon environnement, ça ne me serait pas dur. Ceux qui veulent changer le monde, ce serait mieux qu’ils soient dans le monde, mais il faut être en dehors pour le changer, sinon on ne fait que pousser un peu plus loin la logique. Lasse Braun n’est qu’un piètre représentant de sa génération.
Si on veut pas être capturé, il faut se capturer soi-même. Par exemple écrire des textes sur nous-mêmes qui collent à nous de très près. Souvent, quand on écrit un texte, surtout sur nous-mêmes, il est tellement éloigné de la ‘‘réalité’’ qu’on peut largement respirer, il y a de la place entre nous et l’horizon que nous regardons. Mais d’aucuns myopes parviennent à écrire des textes, qui annulent, par leur ‘‘vérité’’, cette distance. Ce sont des textes auxquels il n’y a rien à ajouter, rien à enlever. Desquels il n’y a rien à dire. Ils s’imposent, en amenant une espèce d’évidence immensément réductrice, et nous finissons par soupçonner l’écriteur d’avoir tenté et réussi de s’être mis en cage lui-même pour ne pas pouvoir l’être par d’autres, n’importe qui d’autre. Echappé, on aurait pu le saisir, n’importe qui aurait eu une prise, la force alors du bonhomme étant de glisser de tous les doigts. Là non, il est là, là et nulle part ailleurs, gentil petit garçon comme il dit. Mais on n’a aucune prise sur lui. Aucun dialogue possible non plus. Il se construit, il s’est construit sa cage comme il s’est construit son temple. Parfait, rien à dire. Rien à dire ou tout à détruire. Tout détruire par un sentiment de rage, par exemple. Mais on imagine, sûrement à tort, on imagine un regard doux mais sourd revenu d’entre les morts disant qu’il n’y a rien d’autre, il ne faut pas chercher. Tant il s’impose, même regard de jeune fille comme celui de cette petite joueuse de couteaux. Même son tombeau, c’est lui qui l’a élevé. On aimerait que ce soit très sage mais en fait c’est très triste. Alors on tourne autour, parce que tout ne peut pas être terminé, ce n’est pas possible. Il n’y a pas à chercher la faille. Il y en a mais ce n’est pas le problème. Ce n’est peut-être qu’un vieux réflexe humain que d’enterrer les morts. Elever une stèle. Certains errent et on les laisse faire parce que cela, au fond, nous fait plaisir. Mais d’autres, comme lui, n’errent pas, ils sont bien morts.
Toute esthétique, capturant, vaut comme un tombeau. Ce n’est pas du tout le confort de notre mort que nous trouvons en elle, le confort d’être fini, mais celui de la mort, de la finitude, qui vaut comme un nouveau départ. C’est toujours la mort qui berce, bienveillante. « Être-pour-la-mort », « dernier homme ». A l’opposé ne se trouve pas la consumation, comète toute entière faite pour la fin, elle aussi, mais « l’éternel retour ». Et la surprise, le saut, la danse. Complexité grandissante, matrice ou cosmos merveilleux. Toute la question du dehors et du dedans — toute la (non-)question du dépassement de cette question.
On se laisse aller aux environnements, malgré soi, et puis aux contingences quotidiennes, avec notre complicité, alors forcément, le repli sur soi, quand on le trouve encore, semble inévitable. Comme une unique planche de salut.
Le monde est laid.
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