jeudi, mai 22, 2008

Inconnecté

Je me connecte sur msn, hors ligne, et je regarde ma phrase : « les yeux fermés ; cette semaine au menu pécunier : lidlâtrine ! »

Envie de mouvement, de vie, de rire, de mots. J'ai envie d'écrire dans cette phrase : « découvrez les formidables aventures de PT2Tuna, dite Kaka, Mère, dite Marbella, VieillePeau, dite Prunlk, et les autres vieilles chattes du gang des Mamans Leur Pute, dit MLP ! »

Mais il faudrait que je l'écrive, cette histoire, et si elle constituerait une catharsis certaine, un contre coup favorable à l'exigence du travail, elle me demanderait elle aussi plus de temps et d'énergie que je ne suis disposé à lui en donner.

Et cela commence à m'exciter, tandis que je n'avais que l'envie de dormir, mais cela au travail, m'allonger lascivement sur mon lit, baigné par un rayon de soleil, lequel a tourné depuis longtemps, et dormir le jour comme par une chaude et calme après-midi d'été, lorsque le bruit d'une fontaine ou d'une source se fait entendre non loin. Je fais cuire des pâtes, ajoutées à deux oeufs déliés dans une poêle et plusieurs épices dispersées sur cette mixture, que je surveillance moins qu'il ne le faudrait, en ne parvenant pas à effacer de ma conscience une chanson parlant d'amour par internet, au texte et à la musique faciles, du genre à entrer dans la tête et à n'en plus sortir, reproduite à l'identique et à l'infini dans un cauchemar esthétique sans fin.

La nourriture est fade, du sel et du piment viennent l'agrémenter, et je mange en écrivant ces lignes, sur une chaise en métal bleu trop basse bien qu'à l'assise surélevée par un dossier de mon canapé-lit qui reste sans cesse ouvert depuis plus d'une semaine, mes bras trop hauts sur le clavier aux avant-bras calés sur le rebord de la table à en laisser des traces, entouré d'objets divers et hétéroclites qui m'étouffent, des cuillères, des paquets de tabac vide, des stylos, des briquets, des petites bouteilles d'eau vide en partie pleines et débouchées, un verre contenant de vieux sachets de thé, des livres, un cendrier, des crèmes pour les mains et le visage, un appareil photo, d'autres verres et des tasses à thé et à café, des sachets de thé et des peignes, un mp3 sans pile et des papiers divers, sortis de mes poches, une carte vitale et un baume pour les lèvres, des paquets de feuille à rouler et un paquet de mouchoirs, d'autres choses sous mon ordinateur surélevé par un livre de sociologie des oeuvres d'art valant moins que cela pour qu'il soit moins bruyant, et puis derrière, sous d'autres choses encore qu'en partie je ne vois pas, dissimulées par les choses et mon ordinateur, et une tasse contenant du sucre roux et de la poussière, de la saleté et des cendres, moi-même restreint par ces choses, et par ce traitement de texte où j'écris ces lignes, l'assiette à manger avant qu'elle ne refroidisse tout à fait, un jeu vidéo que je laisse en partie fonctionner seul derrière la fenêtre de ce texte, des livres à rendre à la bibliothèque pour aujourd'hui et un contrat de travail à poster à l'agence d'intérim, un devoir à rendre pour l'université et un autre à penser, et puis dormir enfin, dormir, sans peut-être aller chez ma mère manger le seul repas de la journée, hormis aujourd'hui ces pâtes aux oeufs, mes poches ne comptant pour la semaine que 8 euros et quelques 40 centimes, depuis vendredi jusqu'à vendredi, demain.

Vraiment, il me faut écrire ici que ces lignes sont un surplus, une surcharge dont je n'ai pas besoin, même pas pensées, projetées, travaillées, la monnaie de la pièce et de singe du travailleur vidé, fatigué, au corps marqué jusqu'au creux des oreilles, qui n'a ni la force de prendre une douche pour commencer une nouvelle vie même à moitié zombi, ni celle d'abandonner cette logorrhée flux, pure expression d'angoisse, comme on appelle le stress, mais laquelle se résout pourtant comme le flux s'épanche, sauf à construire quelque chose, surtout à se saisir elle-même, tant l'angoissé se désintrique de lui-même et jusqu'au point de rupture, où il peut prétendre à se saisir lui-même, et, dès lors, tombe, hors de lui et nulle part.

Il y a sur le bureau un porte-mine avec lequel j'ai tracé quatre traits dans quatre pages successives du livre de Proust que je lisais dans le bus et jusque sur le chemin, jusqu'à la porte de l'immeuble. Je refume une cigarette et me sens vide, déprimé et liquide d'avoir écrit cela pour rien, comme une lessive, qui emporterait le bébé avec l'eau du bain, expression que je n'ai jamais comprise, et je me dis qu'il n'y a là aucune réflexivité, très loin d'un texte proustien, et je mange à nouveau une fraise du paquet volé à la poubelle, des fraises bien mûres, comme je vais me servir un verre de lait pour remplacer les deux cuillères de cappuccino ajoutées à peu d'eau dans une tasse désormais vide. Tandis que je reçois un message sur mon téléphone, c'est si rare et c'est, encore, une publicité. Je ne sais pas ne pas être en face de moi-même en face d'un écran, et je repense à ce passage de Proust dont j'ai oublié de parler quelques lignes plus haut concernant la description d'une femme que je connais. Je vais m'arrêter là, personne n'est connecté, et moi, non plus. Mes mains râpeuses, desséchées et pliées, sentent encore la javel.

mercredi, mai 14, 2008

Je suis venu te dire que je serai là

Reggiani au réveil. Je l’aurais presque aimée. Une chanson aux paroles un peu simulacre. Pourtant je n’aime pas Reggiani, d’habitude. Gréco, vraiment, elle aura tout fait.

J’ai eu une demie-heure de retard parce que mon réveil n’a pas marché, je n’ai plus du l’entendre au bout d’un certain temps. Le sursaut n’est venu qu’à 6h02. Je ne rêve pas, quand je travaille. Je m’endors et me réveille sursaut. Un peu comme la fac au début, c’est pour ça qu’après je ne fonctionnais plus pareil, adaptant la fac à mon rythme biologique.

Pas besoin de mp3, j’ai des musiques en tête. Un véritable juck-box qui se met en route tout seul. C’est le web 6.0 : la musique se met en route toute seule selon ton humeur, ce à quoi tu penses ; même pas besoin d’indiquer sa mood, c’est un peu comme les ‘‘visualisations’’ sur le media player. Il y a eu Je suis venu te dire que je m’en vais de l’ami Gainsbourg, une chanson un peu trop romantique, il m’aurait fallu une version encore plus second degré, simulacre, une manière de dire je m’en vais, une partie de moi s’en va, un masque, l’une de mes incarnations, elle s’en va pour toujours, tu ne la reverras plus, mais moi, moi, moi je suis toujours là. Et puis la BO de Requiem for a dream.

C’est bien l’intérim, ça permet de changer souvent de travail. Envisager un travail, le jouer, en partir, c’est fini. Seulement ce matin je me suis retrouvé tout bêtement sous les ordres d’une caissière pour vider les palettes dans les étalages plutôt qu’à faire le ménage, et ça n’allait pas du tout. Impossible de me mettre à fond dans le travail pour arriver à penser à autre chose. Constamment quelque chose n’allait pas, j’étais à côté de la plaque. C’est dans ce cadre-là que le juck-box se met en route tout seul.

A 8h30 il y a déjà des clients. Plein de clients. Et des petites vieilles qui ont regardé le catalogue, c’est comme le Petit Bulletin et les affiches cinématographiques. Ah d’ailleurs, penser à jeter un œil. Les sorties le mercredi. La plante, là, je ne la vois pas, vous savez où elle ? « Ben j’en sais rien, allez demander à une caissière plutôt ». « C’est qu’on ne la pas reçue, madame ». « Le parmesan italien qui devait sortir aujourd’hui, vous savez où il est ? ». « C’est qu’on ne l’a pas reçu, madame. Désolé ». Vraiment, l’impro ça ne marche pas chez moi quand je ne me sens à ma place. Bon et j’ai fait le tour des rayons. Regardé une humanité catastrophique. Des petites vieilles toutes normales qui vivent normalement, toutes pleines d’habitudes. Elle était mignonne celle qui cherchait des petites briques de jus d’orange mais un eu plus grandes que celles-là, « vous savez quand on est attaché à un produit on aime bien le retrouver, ça fait longtemps qu’il n’y en a plus ». Si vous le dites. C’est touchant. On se demande ce qu’elles attendent, si ce n’est pas la mort. Retrouver ces objets auxquels elles tiennent, peut-être. Sauf qu’elles n’ont rien compris, les zouaves, un tel objet sert à construire le futur, bordel ! Si c’est ça être vieux je me demande bien à quoi ça sert.

Moi je tiens à plein de choses. Pour ne pas parler des êtres. Pour ne pas le dire au singulier. Et je suis très déprimé quand ça se conjugue au présent. Tu te souviens des jours heureux, et tu pleures. Conjuguer au futur. Et le vivre. Au présent.

La vie sans toi c’est une errance sans but. Sans présent. Ni futur. Un à-vau-l’eau dans lequel je tente seulement de rester concentré. D’unir ma volonté. Sans cela comment me présenter face à toi. Sans cela je pourrais en mourir. Si si. Je te fais une prière. Je te veux.

Et pour longtemps encore.

mardi, mai 13, 2008

Cinema Day, ou ma vie ne m'appartient plus et autres paradoxes

Avancer. Ne pas m’arrêter. Avancer. Je ne sais pas où, mais. Avancer. Regarder devant. Quelque chose. Quelqu’un. Rien. Sentir le processus, aimer. Avancer. M’enfoncer dans les tâches, c’est lorsque je m’oublie en elles que je peux penser à autre chose. Ne pas douter, faire quelque chose, y trouver une raison, des arguments, défendre son action. Schizophrénie, plus jamais ça.

J’ai entendu le réveil. La radio. Le portable. J’ai bien tout éteint et j’ai bénéficié d’une demie heure de rab. Sursaut. Se lever vêtements propres, tee-shirt pourri Celio un point zéro, bouteille d’eau crème portable, marcher. J’ai le bus car je suis en avance. En avance devant le magasin. Tout est prévu, envisagé, prépensé. Je vais faire comme ça, maintenant, j’envisage et je veux. « On va boire un petit café, pour commencer ?! ». Certes. Deux sucres d’office, tant mieux ça me rappelle la Birmanie. Pas que. « C’était qui le charclo sur le parking y’a dix minutes ? ». « C’était lui ». « Ah, c’était vous ». « Merci, c’est gentil ». J’avais attaché mes cheveux, je me trouvais correct. Cheveux longs peignés de la veille, mal rasé et courbé, les joues creuses mais correct.

Je dois ce matin faire la partie derrière les caisses et les caisses, je m’appelais ça des boxs. L’après-midi le reste du magasin. Tu parles. J’ai fait tout le magasin la matinée, en nettoyant bien les rebords, et en terminant à la machine qui lave toute seule et ramasse gentiment l’eau parce que sinon j’y serais encore. C’est « le Chef » qui me l’a amenée. Le Chef avait aussi lu l’horoscope. « Ça vous intéresse aussi, vous, ça ? », après lu Vierge celui de la dame, je ne sais plus celui de la jeune qui voit des charclos de bon matin et le sien, je ne sais plus quoi. « Vous êtes quoi ? ». « Lion ». « Travail », je ne sais plus, la jeune : « ah ben vous allez frotter aujourd’hui ! ». « Amour : il ou elle vous aime ». Je ne sais plus la suite, la santé sans doute, le genre de truc que j’oublie.

Ici figure une ou deux phrases qui dénotent une entorse à une loi dont une extension a presque récemment fait parler d’elle. Par conséquent, il a été ôté.

Et frotte et lave balaie et frotte. « On m’a juste dit 6h-12h ». « Ah non c’est 6h-9h, 11h-14h ». Il est 9h et je me suis senti bête derrière la machine au milieu des clients. Je sors. « Et euh… cet après-midi, je fais quoi ? ». J’ai noté ses phrases, elles étaient décidément trop belles : « Ce qu’on vous demande, c’est de prendre la mesure du magasin. De porter un regard neuf sur lui [ou : les lieux]. On attend de vous que vous preniez des initiatives [et peut-être, ou cet ajout appartient-il au personnage qui normalement doit dire cette phrase : et pas que vous attendiez qu’on vous dise ce qu’il y a à faire]. »

C’est noté. Je suis un preneur d’initiatives. D’ailleurs je le noterai dans mon CV : l’intérim m’a appris les rudiments du travail contemporain : travail en groupe, prise d’initiatives… Ça en jettera sur le CV, « responsable du département ‘‘sols’’ chez L. », « directeur des simples surfaces chez L. ». J’ai plein de compétences et je les vends sans négocier. On appelle ça le travail à l’heure. Et les fonctionnaires se plaignaient de n’avoir pas d’avancement.

Je vais à l’agence, je dois chercher des papiers relevés d’heure. Je pose celui de vendredi, d’ailleurs j’aperçois une collègue de M1, on était dans le même lycée mais on ne se connaît pas, je note mes disponibilités dans le cahier prévu à cet effet, que des dates récents dans les noms mentionnés mais le calendrier est celui du mois dernier… Ils sont fortiches, dans cette agence, j’adore l’amateurisme ça me rappelle la fac et ne me dépayse pas.

J’avais du attendre une demie-heure qu’elle ouvre, car leurs employés sont envoyés bosser aux aurores et eux se pointent à l’heure de la récréation. Un café, un sandwich fait exprès pour moi parce qu’il est encore tôt, quatre gâteaux coco plus que soja emballés, vous savez ces gâteaux secs plein de feuilletés gras ou je ne sais quoi. Et ben j’adore ça. Et retour. J’ai failli avoir des vertiges quand je ne savais pas trop où aller, mais ça va.

Je fonce, je suis entrepreneur de moi-même, c’est la fête. L’après-midi je m’ennuie. Je décide qu’un bon ménage commence avec des outils propres et il y a des boulots. Je fais ça et la réserve, je circule à droite à gauche, je nettoie les communs, j’ai l’impression d’avoir fait en une journée le travail de la semaine. La jeune vient fumer une clope à l’arrière. C’est une autre vieille qui vient me donner des ordres à la place du patron, quelle prise d’initiatives ; en fait j’ai vu que ce qu’elle me dit figure parmi les tâches des caissières sur un papier où tout est expliqué. La jeune m’offre une cigarette quand elle me voit rouler et on discute un peu. Ils prennent des intérimaires pour le ménage depuis deux mois, et je suis le premier qu’elle voit travailler autant. Quelle classe. Je ne lui dit pas qu’il n’y a rien d’autre à faire, que tout est dans ma tête et que j’y pense d’autant mieux que je m’oublie dans le travail. Je ne lui dis pas que si je m’arrête d’avancer je suis foutu, je m’effondre et je pleure, je m’écrase et je meurs. Elle travaille avec les enfants, à la base, mais faire un CAP petite enfance quand on a une gamine de deux ans. Je suppose à sa bouille aperçue à la fin de la journée. Ce n’est pas facile. Par correspondance, peut-être. Sinon c’est bien. Elles touchent 900 euros pour 28 heures, l’ambiance est conviviale, même s’il n’y a que des femmes y’a des embrouilles des fois, mais ça va, sourire tendre. C’est Leclerc, où elles commencent à deux heures elles ne savent pas quand elles finissent. Ben moi j’ai su, à 14h je suis parti.

J’ai eu plein de réflexions géniales durant ces quelques heures. Par exemple, quid des déchets. Oui, vous savez, ce petit tas que vous faites en balayant une pièce. A quel point, un bref moment, par le fait de les trouver peut-être, et de les déplacer, voire les ramener à vous, avec force répétitions, ils vous deviennent communs, proches, familiers. Et puis vous les jeter et on en parle plus. Il y avait d’autres choses, aussi. A priori j’ai mon plan pour ce que je dois rendre aux alentours d’après-demain au prof d’art contemporain.

Je rentre chez moi, je passe au pressing demander c’est combien pour une couette. « Une grande ? ». « Oui, une grande ». Le mec juste avant en avait déposé deux, 33 euros 20. « C’est en gros 16 euros ». « Merci », au revoir et à jamais. Si elle veut la récupérer tout de suite avant de quitter l’appart, ben elle devra attendre. Elle m’a donné ses draps tout doux qui lui font des irritations. Je dors dedans, du coup.

Une terrible envie d’aller à la piscine. Depuis vendredi après l’autre travail, de manut’. De me sentir dans l’eau, tout entier et vivant, de nager un peu comme un poisson, sans une partie de mon corps qui prendrait le dessus sur les autres. J’ai trop du écouter Nirvana. Aller chercher un bonnet de bain, acheter un slip de bain, rendre des livres, aller à la piscine. J’ai encore une demie-heure. Ah non, une heure et demie, les horaires ont changé, c’était bien la peine de courir. « Euh… pourquoi c’est une carte magnétique, le ticket ». Un geste vers ma gauche, « c’est pour passer », sourire blasé gentil de commissération, sourcils levés grands yeux, « ah oui c’est comme dans le métro, c’est marrant ».

Je vois des cabines mais pas l’entrée de la piscine. Non mais je ne vais pas me retrouver pieds nus en slip avec un bonnet ridicule sur la tête dans le hall à demander mon chemin, quand même. Ils sortent d’où, tous ces gens ? L’organisation des cabines est bizarrement étudiée, tiens donc. Ah oui, on entre d’un côté et on sort de l’autre. Soit. Je me change. Je mets mon très bon slip, heureusement qu’en tournant autour de la gondole j’ai vu le modèle bandes verticales blanche et grise, plutôt que celui de tête, vert flashouille bleu turquoise. J’entends tiling tiling et je sens un petit truc dur sur le côté de mon cul. « C’est quoi, ça ? ». « Et meeerde ! Il fallait enlever ce machin ! Heureusement que j’ai une clé ». C’est seulement plus tard que ma mère s’étonna que ça n’ait pas sonné. C’est vrai. Mais je n’y avais pas pensé. Puisque ça n’avait pas sonné. J’arrache le bout avec la clé, mais le reste ne veut pas venir. Tant pis, je replis la pastille vers l’intérieur, tu bouges pas, c’est d’accord ? T’es gentille. Mais elle bougera. « Douche savonneuse obligatoire ». Avant ou après ? Après ça m’arrange et avant j’ai pas le matos tout est dans le placard là vous comprenez bien. Non mais vraiment. Je me mets sous le pommeau qui pend comme dans un film d’horreur, je ne sais plus lequel, une scène de Stephen King, c’est dans Ça il me semble. L’eau coule, toute chaude.

Je nage n’importe comment et je n’arrive pas vraiment à m’y mettre, je suis déçu. En plus bien sûr les corps ont une fâcheuse tendance à remonter à la surface, ces imbéciles, et moi à respirer comme un goret et à perdre mon souffle. Je fais quelques longueurs, je n’ai pas compté comme j’ai essayé de le dire à ma sœur, et je n’ai pas regardé le temps que je suis resté dans le bassin et je sais encore moins la longueur que j’ai parcouru pour pouvoir m’en vanter comme quoi dans l’implicite personne ne s’attendait à ce que je fasse 25 mètres sans me noyer trois fois, appeler ma maman une bonne douzaine de fois et tester environ vingt-cinq nages dont vingt encore non répertoriés par les spécialistes de cette science.

Tout autour de moi il n’y a que des gens qui nagent très bien, et ça y va les longueurs. Il n’y a personne, remarque une habituée, c’est bien. Mais ici c’est fait tes longueurs et tais-toi. Du coup je me sens comme dans une machine, un peu comme à l’armée, et je ne parviens pas à m’approprier ni l’eau, ni la nage ni mon corps.

J’ai froid et je vois bien que mes bras sont tous rigides comme des bouts de bois, je n’ai que des nerfs et quand ils sont tendus ils sont tendus. C’est un peu comme ça dans tout mon corps, d’ailleurs, et je sors avant d’avoir des crampes très généralisées. Je me douche longtemps, c’est chouette, ça intéresse tout le monde, je me peigne en cherchant ensuite une poubelle pour y déverser la grosse poignée de cheveux. Ça fait un peu du bien, finalement, la piscine. On va dire. Mon sexe faisait le salut nazi, c’était marrant, sauf qu’il ressemblait à un schtroumpf. Et j’ai eu beau vérifier, par tout hasard ésotérique, mais ce n’est pas le bracelet du casier qui me serrait la cheville, et l’autre par la même occasion. Ah, l’eau, j’adore. D’ailleurs en partant de chez ma mère il pleuvait, parfum de goudron. Parfum d’arbustes, de fleurs, de crottes de chien, de je ne sais quoi. Des odeurs envoûtantes. Celle de la poubelle, une infection je n’étais pas loin de vomir, me rappelait l’odeur d’une fin de marché de Phnom Penh, des aliments pourris dans la poussière de la ville.

Chez ma mère, je me suis assis, après avoir goûté. Avec un verre de lait et une Old Holborn et j’ai commencé à pleurer. Non non non, il faut

Avancer !

Non mais.

Mettre de la musique. Tiens, La Bella Noeva, parfait. C’est très beau. Demain je pourrais prendre mon mp3 et je mettrai ça dedans. D’ailleurs il est sur mon ordi maintenant et je l’écoute en ce moment. Je mettrai ça et je mettrai Vivaldi. Et Rostro. Du violoncelle, plein de violoncelle.

J’ai les mains pleines de micro-coupures je ne pourrais même pas la toucher. Vous savez peut-être ce que c’est, de ne pas pouvoir toucher le seul corps auquel vous tenez, contre lequel vous pourriez passer des mois et des années à seulement le sentir, un corps que vous aimeriez caresser d’une infinie tendresse. Vous arrivez avec vos mains écorchées, râpeuses, aux doigts que vous ne pouvez ni déplier. Sur sa peau. Ni replier au creux de votre main. Pour en faire voir à ces salauds de bousiller votre sens du toucher et de rendre leur contact un enfer.

Passer mon temps à avancer. Sans m’arrêter un seul instant. Quoi que je fasse. Il y a tellement de choses à faire. Fuirais-je quelque chose ? Mais non ! Pas du tout !

C’est elle qui me permet d’avancer. De vivre, pourrait-on dire, nonobstant le côté pathologique de la mobilisation. Mais non. De la volonté. De l’implication. Etre et non pas avoir été, ou quelque chose comme ça.

Alors pourquoi pas avant cela ? Mais pourquoi ? Demanderont peut-être certains.

Mais parce que j’ai le sentiment de la perdre. ‘‘Tout simplement’’.

La vie devient encore plus drôle quand elle n’a plus de sens. Quand on est sur le point

de crever.

Ayant perdu. Perdant.

La seule personne à laquelle

on tient.

C’est pour ne pas devenir fou que la vie se met à délirer.

Je n’ai pas encore acheté la corde, d’autres s’en chargent pour moi.

Tenir à une image ou tenir à un corps. A un fantôme ou bien à une âme. Telle est la question pour qui ne tient plus qu’à

un fil

de pendule.

Et je n’aime

pas

le saut à l’élastique.

J’ai peur, mais

je

veux.

vendredi, mai 09, 2008

Play repeat, la rengaine du huit quatre quatre

Ça a commencé comme un matin sans, un matin plein d’entrain. Le coup j’entends le réveil dès qu’il sonne, la radio dès qu’elle s’allume, j’aurais presque pu éteindre le portable avant que la douce musique crescendo ne se diffuse s’il n’y avait pas cette flegme. Ce plaisir de se savoir réveiller et de laisser les alarmes s’exciter pour rien. Un quart d’heure plus tard, somnolant, tiré de ma rêverie par je ne sais quel réflexe, je bondis de mon lit. Feuille d’horaires, gants, bouteille d’eau, je m’habille et je file, pour me rendre compte une moitié de chemin fait que je n’avais pas les bonnes chaussures, retour, change, et je repasse devant le banc sur lequel la folle du quartier me dit et me demande des trucs, en donnant les réponses auxquelles j’agrée de suite. Une des folles du quartier. J’ai eu le bus. Même avec la déviation, à monter dans le tram puis en descendre après une réflexion, je suis arrivé à l’heure. Presque à l’heure.

Un gars entre, là-bas, vois-je après une petite marche cage thoracique dans un étau, une clope, de l’eau en guise de café, un autre mec arrive quand je suis près de la porte, ameublement je dis, il reprend par aménagement, et il m’amène au service concerné, j’aide une jolie fille, au travail il n’y a pas de fille moche et la moins moche est très jolie, déballer des cartons, des objets, les ranger à leur place dans le rayon, c’est cool comme job tu ranges et puis tu fais du fascing toute la journée, façage, marketing flux tendu, putain de planche tu vas rentrer, chêne massif, teck, chêne massif, aulne, hêtre, teck, teck, putain de merde encore du chêne massif où je vais la mettre, et bordel de merde c’est pas la bonne dimension, saloperie de bouleau c’est trop lourd, 109 euros, ah ouais quand même, quel abus, des bidules pour tenir les planches sortes d’équerres noires, grises, c’est rangé n’importe comment, je ne face rien d’ailleurs j’ai appris ce terme après, si c’est bordel je laisse bordel, où est le problème.

E. t’as pas vu un intérimaire par là je l’attendais pour sept heures il est huit heures et il est toujours pas là, ah ben c’est peut-être moi, bon ben désolé, salut, le monsieur est tout nerveux et ce sera confirmé, je dois te dire qu’il est strasbourgeois il est un peu pète-sec, ah bon les strasbourgeois sont pète-sec, quoi, hein j’avais compris strasbourgeois, oui il a l’air nerveux, sarkozy, tu vois, oui je vois très bien, le monsieur montre des images à un mec au tee-shirt blanc un boss peut-être, petit, appareil numérique une image des containers en bordel au petit matin, c’est formidable l’emploi de la photographie au travail, de vrais progrès, on range des palettes, on range des palettes, le trans-pal’ je le maîtrise maintenant, un vrai boss, presque autant que le chariot d’aéroport rempli de bagages lancé à toute vitesse dans les halls cdgiens d’heure de pointe, on range des palettes, on nettoie par terre avec un balai de paille et une pelle à neige, cool ta montre j’adore, ouais c’est castorama, au moins deux mecs l’avaient, sympas tes gants, oui c’est mon pa-pa-qui-me-les-a-don-né ils sont jolis hein, Pro bidule, oui ça doit être la marque, non la marque c’est timberland, ah bon l’arbre là c’est timberland c’est cool je connais ça timberland quelle classe que j’ai c’est dingue, nettoie par terre, range des tubes, vide des poubelles, glande, et parle, parle beaucoup, on a fait que ça toute la journée c’est assez cool je n’étais pas encore tombé sur un collègue sympa comme tout.

Mal de main, j’aimerais bien une piscine, ça saigne, se laisser dans l’eau nager son corps non mobilisé dans la masse eauazeuse, mal aux mains avant-bras dessus de main partout où y’a de la veine. Une bouteille de coca, un bout de quatre-quart breton, le tabac est fermé, je mors j’ai mal à la mâchoire et jusque derrière le crâne haut de nuque, s’oublier en piscine impossible, comme s’oublier dans une masse. Bouffé de la poussière pendant sept heures, mais, aujourd’hui, j’ai été particulièrement de bonne humeur tout du long. C’est ma nouvelle stratégie d’abordage, j’ai sorti un partiel à l’improviste, comme ça, d’un coup d’un seul sans même y réfléchir ; cas de mauvaise note devrai y réfléchir ; là, en revanche, j’attendais un 7 et je l’ai eu.

Dans la rue monsieur loyal à tout sourire et au micro s’exclame et qui n’en veut du huit quatre quatre, les enchères sont montées, à qui proposera pire. A l'intérieur tout les garçons ont les cheveux courts, très sages et très sérieux ; bem-vindos a BraZil.

@ Spécial dédicace à S-G pour le cappucino de dix heures et demie. Quinze minutes de pause dans la journée. Se déplacer : 5 minutes ; pipi : 5 minutes ; revenir : 5 minutes. On a fumé une clope quand même : 5 minutes, mais on n’a pas mangé.

@ Je me rend compte que j’ai oublié de parler de la musique et autres (petits) délires, souvent persos, essentiels à la tenue d’une journée supportable.


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