lundi, décembre 25, 2006

Soudain il fit très froid, vraiment très très froid

Ces pages qui n’en finissent pas de charger. Yeux en l’air le condamné regarde la guillotine tomber une image par seconde. Le temps du Stabat Mater ?

Papa, ça marche pas internet, ça marche pas ça marche pas. Je ne savais pas faire, maintenant les pages se chargent. Chargées de conneries et d’incompréhension, de passion et de vide sidéral. A-t-il compris, il a mis le Stabat, je n’ai fait que pousser le volume à fond (mais le Stabat Mater n’est jamais assez fort).

Pourquoi fait-il si froid, d’un coup ?

Ces quelques lignes à l’affichage rapide, juste avant que le sang ne fasse qu’un tour, n’étant plus nulle part dans le corps. V., deux points et parenthèse fermée ? Sais pas, demande à A., mais elle dort. A. A. A. ! Mhhh…. Quoi encore ? ça veut dire quoi deux points et parenthèse fermée ? Un bonhomme pas content, pourquoi ? T’es trop nul, toi ! oui je sais, merci. Battements interminables : il manque une page, une seule, sur trois messages lapidants.

Pourquoi je tremble ?

Mon grand-père vient visiter les lieux. Dis-moi, A. me dit de te dire : deux points et parenthèse fermée, c’est un bonhomme qu’est content. Ouverte ! Ouverte !! Mais je ne peux pas crier, non, rester bien sage surtout, sinon ils vont bien m’énerver et je n’aurais nulle part où me cacher. Parenthèse ouverte, bien sûr.

Retourner la cassette, pourquoi n’est-ce pas plus fort, ces saletés de violons devraient crever l’espace, arrête donc de trembler.

Si basse image mon œil, j’imagine rien du tout (et ça voudrait déconnecter en plus ; il n’y a bien que ça qui soit en bas débit, dans la vallée les montagnes trouvent d’autres expressions). Je ressens sur le dos la trace de tes doigts.

J’ai des sentiments ! Trop plein ? Chaque départ est une déchirure, j’essaie de me faire dur pour ne pas m’étaler. Dur : que nerfs et mains (cerveau ? à peine), en tension scripturale. Nécessité de ne pas avoir de sentiments pour ne pas souffrir, c’est quelque chose que je connais. Beaucoup trop, même. La seule personne qui en a éveillé en moi ?

Les sentiments n’ont pas encore de mots en moi. Parle de moi parle de moi !

La page s’affiche, mon sang se retire.

Vais-je devoir retourner là où je ne veux pas aller ?

Nous n’avons peut-être pas le même monde. Pas les mêmes problèmes non plus. J’ai l’amour sourd, et un tantinet muet. Je sais bien mes défauts. Que je ne sais pas exprimer mes sentiments, que je m’attache si près qu’il n’y a pas la place pour un mot. Tant de travail à faire sur soi. Nous savions tous les deux qu’il nous fallait du temps.

Je suis vide, vide, je n’ai jamais été aussi vide, ni jamais aussi froid. Envoyé au néant.

Dès que je dis quelque chose, c’est l’esclandre. Douleur atroce de ne pouvoir parler que sans ses sentiments, comme s’ils n’étaient pas là, comme s’ils n’existaient pas.

Sans se voir, sans se toucher. J’ai toujours cherché, j’ai toujours voulu, j’ai toujours considéré les sentiments comme trop précieux pour être lâchés dans des formules trop stéréotypées, je ne les ai pas trouvées, mes expressions sentimentales, au bout de la course à toucher l’autre, mais c’est pour quand ?

La cassette encore s’éteint, je ne veux pour l’heure que le Stabat à fond et le froid de l’hiver. Les tremblements du corps, les fourmis dans les jambes. Défi des sentiments, loin du grain de ta peau.

Sans mot pour l’heure, que le vide à creuser.

Je ne t’appellerai pas, promis.

Ne pas se rappeller, non ne pas se rappeller, surtout ne pas se rappeller, les souvenirs à la porte, la maintenir fermée, mais pour combien de temps ?

Mon corps te crie.

vendredi, décembre 22, 2006

Disjonctions

Sa prof d’éco dit que si on travaille en faisant nos études, on va les rater. Pas forcément, me dit-elle. Je me pense : de toute façon, rares les fils d’ouvrier à faire une thèse, ça veut dire quoi rater ses études, ne pas aller jusqu’au bout (et qu’est-ce en général sinon une thèse puis aussi prof derrière : point de salut en dehors du professorat ?) ou ne pas accorder potentiel et résultat (et qui dit le potentiel ? et Nietzsche : on veut ce qu’on peut (elle avait lu un peu de Schopenhauer, avant, avec sa volonté contre le libre arbitre)) ? Elle commence à me sortir des ‘‘indicateurs’’, ou bien est-ce surtout la façon d’en parler ? J’ai l’impression d’avoir une élève qui répète parfaitement son cours, comme si pour s’entraîner peut-être, et encore, un cours qui a plutôt sa place au lycée ; une élève ou un prof, surtout ces profs de lycée, qui ont appris, mais pas suffisamment, et restent coincés entre des idées (sans aller jusqu’à leur lieu de naissance ou, de l’autre côté, le lieu où elles sont disloquées) et du concret (sans aller jusqu’à appréhender le concret lui-même), déblatérant à l’infini des litanies qui finissent par se savoir par tout le monde, mais qui même avant cela ne valent rien. Cela m’énerve un tout petit peu, mais seulement comme lorsque quelqu’un dit une grosse bêtise en y croyant : ce n’est pas vraiment qu’on est énervé (à moins peut-être de voir les yeux de l’autre briller : on veut le tirer de ses illusions), c’est un réflexe un minimum énergique. Je tente de dire quelque chose, mais elle est dans son wagon raillé, je ne peux qu’écouter, ou alors peut-être discuter sur le mode qu’elle dit elle-même détester et qui m’insupporte depuis longtemps, comme de bons élèves qui discutent de ce qu’ils ont appris déjà comme des machines, répétant les arguments contradictoires du professeur, sans réfléchir sur ce qu’il leur a été dit, sans réfléchir non plus à partir d’autres sources (et l’allusion au lycée n’est pas innocente ici : j’ai proprement halluciné, en fin de troisième année de socio, lorsque j’ai eu à nouveau, l’espace de dix minutes, un livre de SES de terminale, à quel point c’est idéologique), comme s’ils ne voyaient pas qu’ils étaient en train de bien apprendre leur leçon, une naïveté qui fait rêver certains parents au collège et que l’on peut encore tolérer au lycée (et encore), mais après, on n’imagine seulement des gens d’IEP fonctionner de cette manière (ou le québécois, mais c’est une autre histoire). Je tente de parler et elle est dans son wagon raillé, je tente de dire quelque chose, et fatalement, oui, ce peut être perçu comme le prof envers son élève, mais n’est-ce pas déjà (et seulement) parce qu’elle se comporte là comme une élève ? Forcément, moi je dis rien (je devrais, peut-être, je veux dire : j’aurais du dès le début, avant même (et à la place) de chercher à dire quoi que ce soit), mais elle non, elle me reproche de faire le prof, alors je tombe un peu des nues. Ce n’est plus de l’innocence mignonne, là, mais ça me fait penser à du Gombrowicz (sans vraiment savoir s’il y a cela chez lui, je pense à Ferdydurke), c'est-à-dire : B a de la bienveillance pour A, A se comporte conformément au cadre de cette bienveillance, puis A tente de sortir de ce cadre en s’opposant à B : A est très content de lui, B ressent un profond sentiment d’injustice, d’incompréhension et de stupidité ; je pense à Gombrowicz parce que je pense à Kundera, chez qui il y a cela : c’est entre le cynisme et le kitsch, c’est affreux ; renversement d’un rapport intériorisé comme s’il s’agissait d’une libération, alors que le chemin à suivre (celui de la vérité, du propos juste, qui répond à la question posée au départ) est tout autre et proprement délaissé (mais on s’en sert ; comme si, alors, la question posée au départ n’était qu’un rapport de pouvoir, par là le cynisme, et que trouver le fun, la ‘‘libération’’ comme on disait (on pourrait aussi dire se sentir grand à peu de frais, ce qui fait penser à Eluard et Aragon, lorsque les pires platitudes deviennent « poésie ») et par là le kitsch). C’est assez désagréable, parce qu’il ne s’agit ni de s’engueuler (tout doit se faire en douceur, par des glissements hypocrites et de mauvaise foi, consciemment ou non, on va dire rhétoriques), ni de faire lien (on ne cherche pas à se mettre d’accord, au contraire le désaccord est là dès la base). Sans doute cela est-il déterminé par ces quelques minutes à tirer avant de partir, une demie heure en rab inespérée mais, pour cette raison, car on (elle) avait prévu autre chose, s’était déjà mis(e) en route, laissée vide, comme un non-temps, sans savoir comment en profiter. Déjà quand le temps est prévu, ce n’est pas si facile. C’est à moi de tout faire — mais pourtant quels ‘‘progrès’’ déjà !... : peut-être cela doit-il, devait-il prendre du temps… il y a des choses dans lesquelles on entre rapidement pour en sortir rapidement (un McDonald’s, un supermarché, un site Internet, une amourette à douze ans, même si on y pense plus souvent qu’on n’y est ; mais pour certains jusqu’à toutes les dimensions de la vie), et d’autres qui sont l’inverse (l’amour du vin, la philosophie, un gros roman, et parfois on n’y pense seulement lorsqu’on y est, mais parfois seulement, et pour certains cela s’étend à toutes les dimensions de la vie). Les ‘‘progrès’’ me concernant également (j’ai ‘‘avancé’’ encore d’un pas hier soir — les ‘‘progrès’’ ne concernent que nous-mêmes, notre rapport à nous-mêmes), et parfois, forcément, je souhaite que nos ‘‘progrès’’ soient en accord parfait… Ceci pour dire que lorsqu’une limite, pour ainsi dire, est atteinte, limite car alors un barrage se fait, comme un questionnement muet, sommes-nous sur la même longueur d’onde, ou l’un doit-il attendre l’autre et remettre à plus tard le pas de plus souhaité, le processus amoureux s’arrête ou bien les deux doivent chercher à le perpétuer, donc à penser que ce qui est présent est plus important, plus vrai, que ce qu’ils ont vu derrière la barrière, et peut-être souhaité, pour rester ainsi, sans plus d’avancement, pendant par exemple encore une demie heure. Comme si se mettre en route déjà était aussi un moyen d’échapper. Molles prises de tête destinées à faire passer le temps ? A côté la défragmentation du disque d: reprend lentement son cours.

Je ne comprends pas trop comment elle peut être sensible à des textes de Gavalda, d’Olivier Adam, de Coben ou d’Hayden, et puis (sembler) rester insensible devant Bloody Sunday. Film qu’elle a dit avoir bien aimé (en général elle ne dit rien des films, je crois — mais justement, le dire, peut-être ?...), « trop cool » hum. Comme essayer d’être sincère, d’être uni avec (communion), de sentir avec (compassion), mais sans y arriver, de bien vouloir mais de ne pas y arriver, que c’est alors qu’on parle et que l’on fait bien sentir aux autres que non, cela ne nous touche pas (— ah bon, ça s’est vraiment passé ? — !!?? Oui, d’ailleurs les gens qui sont allés voir ce film savaient déjà ce qui allait se passer). Le réel (et pas la (méta- ?)belle histoire), le social (mais déjà le kitsch au sens de Kundera), elle ne le saisit pas, ne le comprend pas, ni communion ni compassion (elle se bouche les oreilles quand ça parle de religions, et le monde des sims est un monde merveilleux).

Moi aussi, longtemps, compassion et communion sont des choses qui m’ont semblé pouvoir être acceptées, mais seulement en dernier recours, lorsque tous les autres moyens ont été essayés (je le voyais comme ça : des moyens pour résoudre quelque chose, et je voyais les larmes d’une famille auprès d’un mort dans quelque chose de collectif : plutôt que de pleurer avec eux, d’être eux-mêmes peut-être, d’abord chercher à ce que cela n’arrive pas, comme si c’était leur faute, ou comme si, surtout, ils n’avaient chercher à vraiment vivre avec cette personne, mais maintenant se mettaient à pleurer sur lui, un peu comme cette anorexique/boulimique sur le dos de laquelle la mère et la tante (ou la grand-mère ?) parlent tant et plus comme d’un vulgaire commérage, dans la salle d’attente du psy, peut-être pleureront-elles si elle vient à mourir, mais elles l’auront cherché, non ?). Mais parfois, le malheur est déjà là, il n’y a pas entre-temps de futur pendant lequel on pourrait rendre les choses autrement. C’est fatal, comme disait l’autre. C’est cette fatalité qu’il y a dans le kitsch politique (celui dont parle Kundera en stigmatisant des Eluard ou des Aragon). Plus précisément, les « héros », ce n’est pas qu’ils veulent mourir, c’est qu’ils envisagent, sans trop y penser non plus, cette possibilité, et que c’est cela même qui les rend grands, à leurs propres yeux (eh oui) comme aux yeux des autres ; qu’ensuite, on va pleurer sur eux, qu’on nous montre qu’il faut pleurer sur eux, parce que c’est injuste, qu’en plus, s’il fallait vraiment des justifications, si les images ne suffisent pas, ils n’avaient aucun moyen d’attaquer et encore moins de se défendre : voyez, ils sont morts et nous sommes vivants, et ces vivants que nous sommes se demandent que vaut cette possibilité de mourir qui rend les humains grands lorsqu’ils sont vraiment morts, les vivants se demandent cela, eux qui ne l’envisagent pas pour eux-mêmes, comme s’ils n’allaient jamais mourir, et qui n’ont même pas participer à cette possibilité, qui n’étaient pas aux côtés du mort, dans le même rêve, dans le même kitsch que lui. Tout cela est plein de paradoxes, presque scabreux. Spectateurs, nous pleurons de par le kitsch propre aux vivants, mais si nous nous identifions (on dit comme ça : s’identifier, aux vivants ou aux morts de l’histoire) aux « héros » (le film tente de montrer qu’il n’y a pas de héros, mais il montre bien qu’ils se prennent quand même pour des héros, et même les vieux (le héros est un truc de jeunes), ne serait-ce par le regard porté et la situation (parce que la mort est là, à tel endroit, c’est tout à fait certain, c’est dans le champ de tir)), alors nous conservons un regard dur et lointain, et nous ne pleurons pas ; il y a les deux, finalement, dans la chanson de U2 ; si nous nous identifions aux vivants, nous nous mettons à déplorer les engagements dans l’IRA qui s’ensuivent, ou du moins, comme le chef de la Civil Rights Association, nous ne savons pas quoi dire ni penser, nous nous sentons en deçà de toute capacité à dire quoi que ce soit, impuissants, marquant encore par là une désolidarité avec ce kitsch des combattants, mais tout prostrés dans celui des survivants ; si nous nous identifions aux nouveaux engagés, nous sommes avec eux, mais froidement, comme ils semblent l’être au fond d’eux-mêmes, là où le kitsch guerrier cède le pas au cœur même de la guerre, comme si les combattants se disaient « ça va, on a compris, il n’y a rien d’autre possible pour nous, c’est comme ça, faut faire avec, on va y mettre toute notre âme et toute notre énergie, tout ce que l’on a de plus cher en nous, mais cela ne nous fait pas plaisir » ; le kitsch guerrier comme le kitsch pacifiste reposent sur l’idée qu’il y a autre chose : tout n’est que comédie, parfois au point même que les acteurs vivent et se voient vivre en même temps, et cet autre chose peut être le paradis, une paix future, l’amour d’un père, ou quoi que ce soit d’autre ; lorsque disparaît le kitsch, il n’y a ‘‘que’’ le tragique ; finalement, c’est quand vient le tragique, lorsqu’il se peint sur le visage des gens, lorsqu’ils sont pris dedans, lorsqu’il n’y a plus du tout la seule possibilité qu’ils soient scindés entre une partie d’eux-mêmes qui vit et une autre qui les regardent vivre, qu’ils sont vraiment aimables, au plein sens du terme (ce n’est pas du christianisme réintroduit en fraude, d’une part parce que cela ne concerne pas que les victimes au sens large, loin de là, d’autre part parce qu’avec le tragique vient aussi la joie de vivre, et (parfois : du moins) le rire) ; le tragique, là, se peint sur le visage du jeune aux cheveux frisés noirs qui est le plus atteint par le kitsch « hooligan » comme disent les innommables paras lorsqu’il intègre l’IRA, ou bien sur le président du Civil Rights Association à la toute fin du film, déjà un peu quand il va de mort en mort dans la rue, puis à la fin de la conférence de presse, dans sa déclaration sur les engagés dans l’IRA puis après, se levant, tremblant, et partant, complètement disloqué.

De manière cynique, il n’y aurait pas tout ce barouf sans tout ce massacre. Le film, U2… ce n’est pas tant une question économique, c’est même avant cela : le cinéma lui-même, comme si toute forme d’empathie au cinéma, surtout concernant des faits réels, avait pour but exactement l’inverse de ce qui est annoncé (et le malaise, parfois, en voyant une actrice, parfaite dans son rôle, sourire comme une grosse conne avec son Chanel 5 et son collier de perles) ; cela fait partie du cinéma, mais ce kitsch, là, déjà, qui comprend même les deux autres kitsch au moins…

Lorsqu’elle est touchée de près par un film, c’est la première à pleurer, à être profondément angoissée, mais souvent, on dirait bien que ce n’est pour elle qu’un film, ni plus ni moins. Pas donc pour tous les films, cependant. Sans doute les films auxquels elle obéit au kitsch sont-ils ceux qui me laissent le plus indifférent, n’y croyant pas. C’est bien une histoire de croyance, le kitsch est une histoire de croyance. Sans kitsch, il n’y a ‘‘que’’ du récit. Kundera a beau dire, cependant, on ne peut pas faire sans kitsch (celui qu’il déballe pour son « roman (forcément) moderne » est quand même évident !). Peut-être voir ceux auxquels nous sommes sensibles (le kitsch se satisfait d’images, on dirait) et là où nous n’avons ‘‘que’’ du récit à proposer, est-il un bon moyen, comme un autre, de portraiturer quelqu’un. En tous les cas, nous devons tisser le drapé de notre route entre kitsch et tragique, au risque de n’obéir qu’à l’un (et donc, sur le principe du refoulé, de n’être placé finalement que sous la gouverne de l’autre).

jeudi, décembre 21, 2006

Et puis joyeux Noël...

Je pense aux cadeaux de Noël. Je suis encore mains vides.

C’est comme les élections. Bien avant on se dit qu’on trouvera enfin le poulain dont on a tant rêvé, puis plus l’échéance approche, plus l’on se dit que ce rêve, il faut commencer à envisager qu’il prenne forme, à voir parmi ce qui existe, parmi ce qui est possible, qu’elle incarnation il pourrait bien revêtir. Enfin, lorsqu’il s’agit de voter, on voit bien que le jeu est truqué, on crie haut et fort qu’ils sont tous aussi déplorables les uns que les autres, et qu’il est hors de question que l’on participe à cette mascarade, mais, le jour venu, avec tout le monde qui ne parle que de ça, tous nos proches, famille et amis, qui ne parlent que de ça et nous pressent de question et se lancent dans de grands débats à l’ancienne alors qu’on sait pertinemment, et eux aussi, qu’ils ne croient pas un seul mot de ce qu’ils disent (et il ne s’agit même pas seulement de se justifier !), avec tous les commerçants et autres pèlerins de la rue qui nous lancent des regards et des sourires de connivence, à laquelle il faut appartenir, connivence très légère dans l’air cependant, bref : si l’on ne vote pas, on est out, c’est le plus grand rendez-vous raté, auquel pourtant on était attendu aux premières loges, il n’y a plus qu’à culpabiliser, genre t’as raté l’acte de fondation de la renaissance sous un autre nom du pays, il te faudra à jamais vivre dans l’ancien, séparé des tiens par une profonde invisible frontière.

Noël, c’est pareil. Entre nos rêves et la « réalité » (ahah : c’est pas du tout ça), un grand fossé. Finalement je me dis que, bon, comme tout le monde sait que j’ai pas de tunes, je peux me contenter du minimum (j’ai pris une boîte de Pyrénéens, au cas où je sois toujours mains vides, pour le strict straight minimum). Mais des fantasmagories de suite m’assaillent le cerveau. Je reconnais là des attentes des uns et des autres, une interprétation du geste, quel qu’il soit (non : s’il est à mon sens négatif, sinon je peux imaginer les sourires qui ne pensent pas à mal, peut-être même je peux les voir entrer dans mon petit jeu — comme s’il s’agissait de cela, ‘‘mon petit jeu’’, pff !). Je peux même apercevoir des commérages des personnes qui me sont chères, comme je les ai entendu parler de gens pourtant assez proches, mais entre ceci et eux, ils avaient décidé (toujours pour de « bonnes » raisons, cela va sans dire) qu’une barrière infranchissable s’élevait, celle-ci signifiant avant qu’ils ne chercheraient pas une communion des sentiments ni même la moindre compréhension — les actes ne sont alors interprétés que sorti de leur contexte, de leur intention, et si même cela est perçu, l’intention est perçue comme déconnectée de tout sentiment, et bien sûr de son objet (puisque la personne n’est pas touchée pour parler comme ceci).

Les cadeaux qui me coûtent le plus cher sont ceux qu’il me fait le moins plaisir d’offrir, et dont je me fous le plus de la réception. Non, je ne m’en fous pas : je ne veux pas savoir, comme certains se bouchent les oreilles et font de grosses grimaces en se balançant d’avant en arrière recroquevillés le derrière sur le sol. Culpabilité, malentendu : le prix dit le sentiment, mais justement il dit qu’il n’y en a pas. Ou c’est peut-être une transgression, dans le seul sens d’erreur, d’un code implicite bien connu : on n’offre pas n’importe quoi à n’importe qui, pas la peine d’aller voir les kwakiutl pour cela, en terme d’objets comme en terme d’importance (de travail ou de prix). Malvenus, à côté de la plaque ; les sourires lissent le tout, bien sûr, même s’ils sont faux, mais le malaise est là quand même ; comme une sentence inévitable qui plane au-dessus de la tête et va de toute façon tomber (sans plus jamais tomber ou presque, de nos jours), raison du recroquevillement fou.

Je rêve d’une image qui ne soit pas une image, et cela me fait penser aux objets transitionnels. Mais ce ne sont pas des « objets transitionnels », ou alors ceux-ci sont une sous-classe de ce phénomène général. Le mana même n’est-il pas de cet ordre-là ? Je pense à une image, mais faite de ma propre main (par défaut, en fait cela me répugne d’y penser : je voudrais qu’elle existe par elle-même, soit qu’elle soit faite par un humain mais celui-ci oublié, soit qu’elle soit acheiropoïète). Je vois véritablement la matière, par exemple de la peinture (ou est-ce de la terre ?), une couche marron mat, à un endroit elle est un peu partie, et puis une ficelle dedans et qui en sort. Bref… c’est juste une image, les images parlent toutes seules et dans notre dos, surtout que celle-ci n’est destinée à personne.

Une image symbolique pour quelqu’un, mais plus qu’une image, une image qui ne soit pas une image : un objet, déjà, et sans utilité. Un symbolon tout unique dans lequel il y a déjà les deux personnes, et qui passe de l’un à l’autre ; l’un met le mana, l’autre le garde, les deux sont reliés par l’objet. C’est l’horizon suprême du cadeau, je n’en trouve pas d’autre, manque d’imagination peut-être. Mais à s’y prendre au dernier moment, à chaque fois un rabattement, un compromis s’opère, pas toujours vers des objets entièrement achetés, mais au moins en partie, et plutôt en grande partie. Un livre, un vêtement, un sachet de thé, un disque… l’an dernier, un disque gravé pour chacun, pochette simple et de main d’homme, aux pistes personnalisées mais dans la globalité, disques existants dans le commerce. Hier, j’ai cherché dans le supermarché. C’était très glauque. Ça donne envie de cynisme, un peu comme celui qui est à l’œuvre dans les cadeaux farces et attrapes, par exemple (pas le meilleur), un cynisme renversé, populaire, lorsque, au mieux, le lien est exprimé par l’impuissance à le faire, parfois c’est très fort, il arrive même que ce soit beau (mais bon, moi, ça ne pourrait pas l’être : ce serait entre le foutage de gueule et le cynisme).

Il faut que je ressente vraiment une émotion, que le destinataire, comme je pense à lui, me touche. Cela demande de la préparation. Là, Noël débarque trois jours avant, pour tout le monde, alors forcément. Mais c’est tout le temps comme ça, seulement là je doute de pouvoir m’en sortir. Je n’ai rien sous la main.

Le « marché de Noël ». Voilà bien qui exprime le contraire du cadeau : le marché. En art, tout ce qui ressort du « premier marché » s’avance en général sous des motifs non artistiques (ce sont les reproductions, les sérigraphies, et toutes les croûtes). Par exemple, il y a dix minutes, une fille, la deuxième après celle du mois de mai ou juin, voulait me présenter les sérigraphies qu’elle a réalisées avec un sérigraphe dans le cadre d’une réinsertion des jeunes, dit-elle, avec une autorisation délivrée par la préfecture de police toute chiffonnée, déclarant ouvertement que si je voulais l’aider… J’ai dit non, autrement dit, à travers le prisme de son discours : qu’elle crève, sans travail et sans toit. Quarante euros pour un geste humanitaire, on peut le comprendre, quarante euros pour une sérigraphie de merde, faut quand même pas exagérer (je ne les ai pas vues, cependant : reproduction de tableaux connus, dit-elle). Celle du mois de mai tenait un discours beaucoup mieux construit, sans aucune autorisation je crois, une vraie professionnelle, une horreur. Je m’étais fait avoir, évidemment, rationalisant cela comme un remerciement pour avoir été la seule personne de la journée à me parler. Celle-ci, ce n’était pas des sérigraphies, il y avait tout un discours, probablement mensonger : véritables créations (dans l’ordre graphique : tout plat et des signes qui disent quelque chose), avec une véritable technique par eux mise au point, avec de la soie et autres conneries, genre le « tableau » coûtait 75 euros à faire, cédé 25 par pure bonté… Faut pas prendre les gens pour des cons, sauf ceux qui le sont, comme moi. Le premier marché de l’art vient tout seul à notre porte, et sous des motifs extérieurs à l’art en plus. Cette fois, long monologue essoufflé à la porte, à la fin j’ai dit non, et elle est partie jouant la vexée (à la limite, si cela était une entrée en matière pour aller plus loin, parler plus profondément, retourner cette relation commerciale ou humanitaire, mais je doute que cela soit possible, ni même qu’elle le veuille : elle va beaucoup trop vite sur ses rails, et au fond c’est pour cela que je ne l’aime pas : où cet art devant ma porte rejoint un hypothétique art vendu en distributeur comme des canettes de coca).

Le « marché de Noël ». Le cadeau de Noël est radicalement hors marché, justement. Petit, j’en ai eu des cadeaux du marché, Toys’r’us, supermarchés et autres. A remplir plusieurs chambres d’objets que je n’ai quasiment jamais touchés, à peine une fois pour voir. Je dis cela sans méchanceté ni aucune arrière-pensée, évidemment. Cela me rendait triste, je crois. Après c’était plus simple, il y a eu les consoles vidéo, elles au moins elles réglaient le problème, ce passeport pour l’ailleurs, mieux qu’un train électrique, qu’une boîte avec des tampons pour écrire en hiéroglyphes, qu’un circuit de voitures de course électriques (et pourtant j’y ai joué, à ce circuit), que n’importe quel livre, et que sais-je encore. Gamin, un véritable cadeau, je ne l’aurais pas compris (si même mes parents auraient été capables d’en faire) ; il aurait traîné à l’abandon ; peut-être aurais-je senti quelque chose de vague, et de pas compris par moi du tout, dans cet objet, par cet objet, et alors peut-être aurais-je été abattu par une profonde tristesse, celle de ne pas arriver à faire lien avec cet objet lui-même (ça m’est arrivé, parfois, mais c’était des cadeaux bêta, de personnes que je ne connaissais quasiment pas, donc là c’était le lien à la personne ‘‘seulement’’). Peut-être seuls les adultes peuvent arriver à jouer entre eux, les enfants il faut toujours que le jeu soit quelque chose de tiers (et quel meilleur jeu que le jeu vidéo ?).

Dans un (super)marché, c’est glauque (c'est-à-dire au-delà du triste) parce qu’il y un sentiment de manque. Le manque n’est jamais plus fort que lorsqu’il y a quelque chose qui fait lien, mal le lien. C’est peut-être le commerce lui-même, mais des objets du commerce peuvent toutefois, sans doute, être soustraits à ses lois, retournés au profit de la main qui achète, comme si c’était elle qui les avaient créés (et l’emballage, l’intention ou la symbolique suffisent-ils ?). Je ne cesse pourtant de rêver à une image, une unique image, une image qui n’est pas une image, qui exprime l’expéditeur et le destinataire, et les deux à la fois, et fasse lien entre eux. Tout au long de la recherche des rabattages sont possibles : sur des objets commerciaux, sur des objets commerciaux transformés avec ‘‘créativité’’, sur de simples photos, sur de simples productions, intentions, de la main de l’expéditeur. Que vaut un cadeau en dehors de cela, en dehors d’un fond sans âge et humain, très humain ? Une image à conserver, une image qui exprime également plus que l’un et l’autre et les deux à la fois : ce fond sans âge lui-même, éternel retour de cela… Mana, potlatch, symbolon, écran biface, image acheiropoïète, et d’autres que je ne connais pas… Assez loin du don (et du contre-don) et très loin du commerce.

A l’instant je pense à une image assez stupide peut-être. L’enfant reproduit une image qu’il connaît, par exemple une photo. On voit bien que c’est l’enfant qui l’a dessinée, et un observateur tiers, c'est-à-dire en dehors de tout lien affectif, ne verrait que ce qui est représenté, sans grande différence avec l’original. Mais voilà, c’est l’enfant, c’est lui et pas un autre (et sans doute faut-il ‘‘aimer’’ Sherrie Levine pour apprécier ses photos après Walker Evans). Pour cela, sans doute ne faut-il pas qu’il y ait de la création, sans doute faut-il que ce soit la reproduction d’une image existante. Ensuite, il faut que cette image appartienne au destinataire, une image qui lui soit chère. Avec ces trois éléments, l’image devient un véritable objet, pour ainsi dire une icône (d’ailleurs, peut-être faudrait-il reprendre la technique de production des icônes, je crois fixée une fois pour toutes). Il va de soi que Dieu ne peut plus rien créer, étant mort, que nous restons entre humains. (Il va sans dire que l’ordinateur n’aide en rien, à moins que le virtuel révolutionne l’icône comme le jeu vidéo a révolutionné le jeu…)

(Le lendemain).

Eh bien non, pour ne rien changer, moins encore que d’ordinaire (ou presque ?)…

mercredi, décembre 06, 2006

Déprime du mercredi soir (ou l'horreur de la Grand'Place contemporaine)

Dans le tram tout du long, pour revenir de Grand’Place, je cherchais désespérément, enfin… quand même assez mollement, quelque chose à me dire. Mais j’ai la langue trop pâteuse, et la cervelle aussi, tout ce qui venait ne valait pas un kopeck, des phrases idées litanies qui reviennent de temps à autre.
J’arrive dans ma chambre, déjà dans le tram je m’étais dit ceci, dans ma chambre je fais couler de l’eau dans la cafetière pour la mélanger à du thé, et même pas une impulsion salvatrice ne vient à mon secours. Un effondrement, plutôt, qui s’exprime par cette petite idée que j’ai toujours cru au pouvoir, et à la nécessité de ce pouvoir, du moins à son extension irrépressible, de l’image sur écran monoface, et même de l’idole.
Je me sens médiocre et sale, je me sens, je trouve que le mot va si bien, dépenaillé. A cause de mes vêtement, de ces chaussures de sport, de moyenne randonnée le magasin disait, à la languette qui part sans cesse sur le côté, de ces chaussettes à moitié détendues, assez fines en coton blanc, de ce pantalon qui ne me couvre même pas le talon, un pantalon que l’on dirait de sport, un peu comme pour la voile, tout fin qui glisse sur la peau et enveloppe tout en bouffant les jambes trop maigres. Des pulls accumulés dont l’un est trop sale et les deux autres ne s’ajustent pas comme ils le devraient terminent l’assemblage, et puis je n’avais même pas d’écharpe pour me cacher un peu, pour m’enfouir dans du linge. Habillement tout ligué contre moi, sale, n’importe comment, en éclats mal collés. Lorsque je me sens bien, je ne sais pas si les vêtements jouent un rôle, mais lorsque je les sens, lorsque je pense à eux, une analogie me vient tout de suite à l’esprit. Enfin, cela me fatigue déjà. Manque de combat. En plus, je n’ai pas envie de me réduire, ce serait trop simple de parler de moi comme si j’étais un autre, une mise en case de ce que je n’aime pas. Il manque de l’érotisme, il manque de la joie de vivre, il manque de la force qui sait où elle va, il manque une ligne droite, un oui et un non, un but. J’ai le buste qui se tord tout seul en deux, fatigué mais au cœur qui bat pourtant trop fort, tout le corps comme courbaturé, chiffonné. C’est pas une bonne journée.

lundi, décembre 04, 2006

Travail de nuit

Je ne parviens à travailler que la nuit, jamais trop su pourquoi.
Comme s’il y avait une nature propre au travail diurne, et une autre pour le travail nocturne.
Le jour, c’est le travail d’exécution. C’est le moment où les limites de mon corps ne sont pas plus loin que ma peau, si déjà elles vont jusque là. De même pour ma cervelle, pas plus loin que ma conscience, et toutes ces voix qui parlent, me parlent et m’ordonnent, que c’est insupportable. Travail collectif, ordonné. Si je lis un livre, c’est comme si je lisais toujours un manuel énonçant des points qu’il faut apprendre par cœur et savoir recracher.
A la limite, le jour, s’il y a une médiation, et peut-être dans un endroit fermé (comme une salle de cours), il peut y avoir déjà quelque chose comme de la rêverie, sans savoir si cela tient à la médiation que j’écoute (par exemple un prof) ou à l’endroit. Il y a alors une mise en confiance qui libère, pour le dire ainsi, la libido, permettant de sortir de soi, jusqu’à la peau et bien au-delà. Mais chez moi, dans une bibliothèque, face à un livre, face à une feuille vierge, ou quoi que ce soit d’autre, pas moyen, je me sens oppressé.
J’ai trouvé un livre sur les étagères de la BU (je ne fais jamais que passer/emprunter, comme pourraient le marquer les amateurs de scission, sans jamais m’arrêter) qui m’a semblé très intéressant. Il se titre L’écran, de l’icône au virtuel, La résistance de l’infigurable, et date de 2004. L’ouverture raconte le choc de l’auteur, Stéphanie Katz, son émotion dans las cuevas de Altamira, près de Santander, en Espagne, grottes peintes durant les 13e et 12e millénaires avant Jésus, et comment elle comprit qu’elle venait de voir « la scène fondatrice de l’image occidentale » : « c’était ici la main, et non l’œil, qui faisait autorité », « non plus une image obéissant à l’œil et soumis à la logique du reflet ressemblant, mais une figure organiquement générée par la main, selon un projet d’articulation entre le visible et ce qui lui échappe ». Sinon ici, c’était juste pour noter cette petite phrase complémentaire : « m’extirpant du dedans pour sécher mes larmes dans l’éblouissement du dehors, je compris aussi que, pour que cette dynamique d’articulation biface de l’image puisse se mettre en place, il fallait bien en effet quitter le monde de la lumière, qui fait peser sur la représentation le risque de copie, pour pénétrer dans une ailleurs ombré qui inaugure l’apostrophe vers l’infigurable ».
Bref, le jour, pour moi, il n’y a, à quelques rares exceptions près, que des écrans se contentant de représenter, représentation que je peux manier, que je peux créer, que je peux enregistrer, mais voilà tout. C’est proprement nul. Le problème, c’est que j’aimerais être de jour comme je peux être de nuit, travailler de la même manière, du coup je suis obligé de compenser, et à vrai dire cela ne donne rien. Finalement, comme je ne passe plus déjà au moins la moitié de la journée à dormir (les deux tiers voire la totalité du jour ces derniers hivers), et que je ne supporte pas ce pouvoir diurne, je passe la journée à me lobotomiser sur mon ordinateur, histoire que le temps passe, dans un masochisme de ce que je ne supporte absolument pas.
Concernant un livre, par exemple, la différence entre le jour et la nuit est relativement simple. Le jour, le livre est un ensemble de signes qui énoncent des propositions au milieu d’autres livres et, accessoirement, pour l’auteur, d’autres gens. L’auteur énonce, il « dit que », ce sont ses « idées » qui comptent, et le débat de toutes les « idées » autour d’un « sujet » quelconque. Les corps sont tenus, se tiennent, c’est l’espace public, réglementé par les règles du discours, du débat, du dire, de l’assemblée, par la croyance en ce qui est dit, dans le sérieux de tout ce qui se dit, de tout ce qui se fait, le réel lui-même comme le réel des signes auquels ils renvoient ne font pas de doute, à la limite ne font que question. C’est toute la comédie sociale à laquelle chacun participe, quand il a appris, par des techniques du corps, à s’y tenir.
Et bien la nuit, c’est tout autre chose. L’auteur ne « dit » plus « que » : il parle. Ses livres ne sont plus un ramassis de signes ordonnés, mais de choses et de formes et de sons et d’etc. qui s’animent. Le paysage sort du livre comme dans celui que j’avais quand j’étais petit, qu’à chaque double page un décor en carton, plié, se levait, et dans lequel je pouvais imaginer les personnages de l’histoire évoluer. Sauf que c’est plus qu’un décor un carton que je peux voir, c’est du virtuel au sens plein du terme, c'est-à-dire certainement pas celui qui n’est que représenté dans le virtuel informatique. Je ne suis encore qu’un gamin, je sais, je suis encore très loin d’avoir ma place dans le cirque citadin…
Il me plaît même assez d’imaginer une civilisation vivant naturellement dans une telle grotte (comme on dit : sous terre, dans la nuit, etc.), ne remontant à la surface qu’exceptionnellement. On nous dit que ce sont des civilisations d’horreur, comme on l’a longtemps dit du Moyen-Âge, comme les représentations hollywoodiennes nous le montrent encore (c’était quoi ce film, avec Stallone et Wesley Snipes dans lequel ils étaient cryogénisés ?), mais qui dit cela, sinon des gens très habitués à la lumière, au corps dressé pour l’espace public, et qui ne sait que devenir la nuit, qui se tord et se cabre à cause du stress accumulé, dans des mouvements convulsifs que l’on dirait pervers, n’acceptant qu’une version autorisée de « la nuit » (par exemple le rêve), sinon devenant fou, perdant tous ses repères, au corps incapable de supporter la nuit, de s’y fondre, d’entrer en confiance, corps et esprit bien trop rigides et bien trop épais, tout rigidifiés sur les sentiments, sur le sentir, et qui, dans la nuit, ne peuvent se laisser aller qu’aux pires horreurs et aux pires conneries, un peu comme Dantec dans ses interventions publiques, hors de la caverne qu’il déploie dans ses livres.
Remonter dans le jour, c’est un peu comme la virilité et quelques autres choses : c’est souhaitable, mais il faut déjà avoir connu la nuit. Il faut que j’arrête de dormir, la nuit.

Rêves

En ce moment j’ai le cœur près du bord, je me rappelle souvent de mes rêves. Par exemple, la semaine dernière, le plus marquant à ce qu’il m’en souvient concernait Elodie. La nuit d’hier, il me semble que c’était celle-là et pas la toute dernière, j’ai rêvé de Soral, il était professeur de sport et voulait nous faire faire de la danse. Après nous avoir bien engueulé, il me semble en plus que nous devions inventé une danse, j’ai fini par lui dire, en nous pouvant plus, qu’il veut que nous dansions mais que, nous, la danse on ne sait même pas ce que c’est. Alors à peine avais-je parlé qu’il était en train de danser, avec une noire. Ils faisaient une danse entre de la danse contemporaine, quelque chose comme un tableau, une histoire de pose, peut-être érotique, et la danse comme un slow, ou plutôt flamenco ou quoi, moi je n’y connais rien. La femme avait le nez très grand et tout carré au bout, avec deux lèvres posées autour du menton de Soral, cela semblait géométrique, un assemblage parfait (qu’en plus elle semblait avoir quelque chose de doré, les cheveux ou les lèvres ou le maquillage pour les yeux, ou peut-être le vêtement, quelque chose de très égyptien en tous les cas, en plus de cet étrange baiser). Moi je pensais qu’elle était ainsi, mais non, c’était un exercice. En fait elle était normale, avec un petit nez qui remonte, comme tout le monde. Elle nous montra comment elle passait par étirement et repli du bout du nez de la pose normale à la pose finale, et dit au moment de repli le bout du nez, et je rentre mes poils, ou je cache mes poils, par analogie entre le bout du nez avec dessous les narines qui basculent et son sexe. Cette nuit, étrange endroit, entre un lycée et une colonie de vacances, un endroit où tantôt j’étais un touriste, du genre à y être venu et en être sorti, que je peux passer n’importe où, grand prince, et tantôt j’étais un travailleur, relégué au sous-sol, avec les autres travailleurs, aidant par exemple à la buanderie. Je travaillais avec une fille qui m’évoquais Sabrina, d’ailleurs. Il y a avait Emeline, avec son copain. Moi j’avais Lara, mais elle était en dehors. Et bien Emeline, et son copain, espèce de mélange entre Dantec et son ex Cédric, mais en plus rock, plus viril, étaient très portés sur le cul, n’ayant rien d’autre à mettre dans leur vie. Ce mec a fini par sortir avec Lara, et je les imaginais, tant ils avaient l’air heureux et mutin, surtout elle (lui, très placide, très pose rock, juste un sourire, à peine) quand je pouvais les voir (toujours ensemble), notamment dans une sorte de petite baraque au bord d’une petite rivière avec son petit pont de bois et ses pâturages d’herbe grasse et son tas de foin sur le côté, baiser tant et plus, et puis aussi à un moment donné, ils étaient dans une piscine, et elle le suça, bite hors-l’eau, mais très rapidement, genre gobe-dégobe car la glace est trop froide. Je me suis réveillé, un début de crampe au mollet, qui n’a pas manqué de se continuer en me faisant gentiment hurler.

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